Audition de Dominique Goussot à l’Assemblée nationale

Dominique Goussot, vice-président de la Libre Pensée a été auditionné à l’Assemblée nationale le 20 mars 202. à propos de la loi pour une école de la confiance du 26 juillet 2019

Introduction

Condorcet

La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance porte un titre pour le moins inapproprié parce qu’elle suscite plutôt la défiance, celle des enseignants, celle des familles et celle des laïques. En particulier, ses ambitions idéologiques portent atteinte à l’excellent principe énoncé par Condorcet au chapitre V du premier des Cinq rapports sur l’instruction publique de 1791 : « Il faut donc que la puissance publique se borne à régler l’instruction, en abandonnant aux familles le reste de l’éducation. » En effet, celles-ci doivent disposer de la pleine liberté d’élever leurs enfants selon les convictions qui les animent tandis que la République est tenue de leur offrir l’accès aux grandes œuvres et leur apporter des connaissances scientifiquement établies. En l’espèce, l’école devient l’instrument de diffusion de ce que la Fédération nationale de la Libre Pensée (FNLP) a qualifié d’idéologie d’État à propos de la loi postérieure du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République dont celle du 26 juillet 2019 est à certains égard un brouillon.

En réalité, la loi du 26 juillet 2019 modifie, en général, les conditions de délivrance de l’instruction publique aux enfants et aux jeunes, et accorde, en particulier, des avantages supplémentaires à l’enseignement catholique. Elle porte aussi en germe des bouleversements structurels inquiétants au regard de l’histoire de la République.

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L’évolution préoccupante de l’instruction publique et l’amélioration des aides à l’enseignement privé qui en résulte

En premier lieu, aux termes de l’article L. 141-5-2 du code de l’éducation « L’Etat protège la liberté de conscience des élèves. / Les comportements constitutifs de pressions sur les croyances des élèves ou de tentatives d’endoctrinement de ceux-ci sont interdits dans les écoles publiques et les établissements publics locaux d’enseignement, à leurs abords immédiats et pendant toute activité liée à l’enseignement. / La méconnaissance de cette interdiction est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe. » Ces dispositions s’insèrent immédiatement après celles issues de la loi du 15 mars 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles à l’école publique, un texte que la Libre Pensée avait critiqué sur le fond en tant qu’il permet implicitement d’en arborer de discrets. En quelque sorte, il s’agit donc d’aller désormais au-delà de cette interdiction à géométrie variable en stigmatisant non pas des actes mais des « comportements », toujours juridiquement très difficiles à qualifier, et ce non seulement à l’intérieur de l’établissement mais aussi à ses « abords immédiats ». Bien entendu, derrière ces dispositions, se cache une religion particulière. Au surplus, nous le verrons plus loin, la loi du 26 juillet 2019 traduit sur ce point une forme de cynisme : ce texte ne lésine pas pour impulser une conception étriquée de la nation, peu compatible avec l’idée même de liberté de conscience donc de penser des élèves.

En deuxième lieu, la loi du 26 juillet 2019 favorise davantage qu’il ne l’est déjà l’enseignement privé, catholique mais aussi régionaliste, ainsi que le patronat.

D’une part, l’article L. 131-1 du code de l’éducation qui en est issu avance de six à trois ans l’âge de départ de l’obligation scolaire. Pourtant rien ne rendait nécessaire cette mesure dans la mesure où plus de 95 % des enfants de trois ans fréquentaient déjà l’école et pratiquement 100 % ceux de quatre et cinq ans. Ces dispositions ont eu pour seul objet et seul effet d’augmenter les ressources des établissements catholiques ayant conclu un contrat d’association avec l’État portant sur des classes maternelles. En effet, les communes ayant exprimé dans le passé un avis défavorable à cette contractualisation sont désormais contraintes de prendre en charge les dépenses autres que de personnel dans les conditions prévues aux articles L. 442-5 et suivants du code de l’éducation. Conformément à l’article 72-2 de la Constitution du 4 octobre 1958, l’article 17 de la loi du 26 juillet 2019 prévoit une compensation des charges nouvelles supportées à ce titre par les communes. Néanmoins, cette compensation, estimée initialement à cinquante millions d’euros pour 275 000 élèves et versée en une (2019-2020) ou éventuellement deux ou trois fois, a été calculée a minima en prenant en compte la neutralisation partielle des évolutions démographiques divergentes entre l’enseignement élémentaire et préélémentaire : « Dans la plupart des communes, ces évolutions démographiques à la baisse compenseront les évolutions d’effectifs dues à l’abaissement de l’âge du début de l’instruction obligatoire » note le Gouvernement dans une réponse écrite du 19 mars 2020 à la question d’un sénateur. Relevons que les bonnes intentions en faveur de l’enseignement privé concernent également les établissements délivrant une instruction en langues régionales et accueillant des élèves venant d’autres communes que celles où ils sont installés : aux termes de l’article L. 442-5-1 « […] La participation financière à la scolarisation des enfants dans les établissements privés du premier degré sous contrat d’association dispensant un enseignement de langue régionale […] »

D’autre part, l’article L. 114-1 du code de l’éducation prévoit que « La formation est obligatoire pour tout jeune jusqu’à l’âge de sa majorité. » Il ne s’agit pas d’étendre la période d’instruction obligatoire mais de livrer les jeunes de seize à dix-huit ans aux centres d’apprentissage et de formation professionnelle contrôlés directement ou indirectement par le patronat. Ce dispositif répond à l’explosion de l’apprentissage : 416 000 contrats au 31 décembre 2018, 718 000 trois ans plus tard (+ 72,6 %), tandis que l’existence même des lycées professionnels est aujourd’hui menacée par la perspective d’une augmentation de 50 % de la durée des stages au profit des entreprises.

En dernier lieu, au mépris du point de vue de Paul Bert exprimé le 4 décembre 1880 – « il nous a paru indispensable d’affirmer au père de famille que rien ne sera enseigné dans cette école qui puisse porter atteinte à la liberté de conscience de son enfant et à la sienne propre » – et sans préjudice des expérimentations pédagogiques, dont nous pouvons craindre le pire, et des bonnes intentions en matière de lutte contre le harcèlement scolaire, qui restent des vœux pieux faute de moyens, la loi du 26 juillet 2019 plonge l’école dans un bain idéologique d’un autre âge. L’article L. 111-1-2 du code de l’éducation prévoit que « L’emblème national de la République française, le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge, le drapeau européen, la devise de la République et les paroles de l’hymne national sont affichés dans chacune des salles de classe des établissements du premier et du second degrés, publics ou privés sous contrat. » Alors même que les républicains opportunistes puis leurs successeurs radicaux avaient le regard fixé sur la ligne bleue des Vosges, la loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire, mère de toute politique républicaine en matière d’instruction publique, n’avait à aucun moment dévié de son unique objet, l’instruction, en s’égarant dans un domaine qui n’était, en 2019, qu’une sorte de brouillon sur le terrain scolaire de la future loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

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Des changements structurels et scolaires inquiétants

Aux termes de l’article L. 421-19-1 du code de l’éducation « Les établissements publics locaux d’enseignement international [EPLEI] sont constitués de classes des premier et second degrés et dispensent tout au long de la scolarité des enseignements en langue française et en langue vivante étrangère. Ils préparent soit à l’option internationale du diplôme national du brevet et à l’option internationale du baccalauréat, soit au baccalauréat européen […] » Ainsi, entre dans la catégorie des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE), réservés jusque-là aux collèges et aux lycées, une nouvelle structure, l’EPLEI, qui efface la frontière entre le premier et le second degré. Pour préparer des diplômes à option internationale du second degré, le législateur a donc institué des établissements publics dont une partie de l’activité concerne les élèves de l’enseignement élémentaire. Or, il a considéré en même temps que « Ces établissements peuvent également accueillir des élèves préparant les diplômes nationaux du brevet et du baccalauréat qui ne sont pas assortis de l’option internationale ni préparés dans une section binationale […] ». Cette réforme met bien sûr en cause l’architecture de l’enseignement secondaire conçue par Jean Zay dès 1937, combattue alors par les partisans du vieux lycée napoléonien et finalement mise en place après guerre. Plus grave encore peut-être, elle brise aussi le puissant lien qui unit depuis Condorcet l’école primaire à la commune, cette alvéole de base de la République. La création des EPLEI marque sans aucun doute une rupture par rapport à la loi Ferry du 28 mars 1882 dont l’article 5 prévoit qu’« Une commission municipale scolaire [présidée par le maire] est instituée dans chaque commune […] ». Se pose désormais la question suivante : quand les écoles communales seront-elles fusionnées avec les collèges, en totalité ou en partie et transformées en établissements publics au détriment des communes ?

Le renforcement de l’école dite inclusive résultant de l’article L. 351-1 du code de l’éducation est également un sujet de préoccupation : sous le masque d’un humanisme frelaté se cache en réalité une politique de réduction des moyens mis en œuvre en faveur de l’instruction publique des enfants handicapés. Les lois des 12 février 2005 sur le handicap et 8 juillet 2013 dite de refondation de l’école avaient amorcé un processus que celle du 26 juillet 2019 tente d’amener à son terme. La prise en charge d’enfants handicapés en milieu scolaire ordinaire est en elle-même souhaitable quand elle est possible. Tout le monde le comprend bien, elle ne peut résulter que d’un examen au cas par cas de chaque situation et non d’un dogme selon lequel tous ces enfants, quel que soit le degré de leur handicap, pourraient être admis en milieu scolaire ordinaire : ce n’est satisfaisant ni pour les élèves handicapés ayant besoin d’une éducation spécialisée, ni pour ceux qui ne le sont pas ni pour les enseignants. Enfin, elle suppose des moyens qui font aujourd’hui grandement défaut. Ainsi, le nombre et la rémunération des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) sont notoirement insuffisants. À quoi aboutit en réalité la politique d’inclusion généralisée ? D’une part, elle entraîne une forte économie. En 2016, le coût moyen d’un enfant pris en charge dans un institut médico-éducatif (IME) ressortait à 70 000 euros par an. En 2021, celui de chacun des 260 000 élèves handicapés inscrits dans l’enseignement public atteignait moins de 58 000 euros. Sans tenir compte de l’érosion monétaire et à supposer que 100 000 d’entre eux soient admis à bon escient en milieu scolaire ordinaire, la diminution de l’effort budgétaire global en faveur des enfants handicapés serait de près de deux milliards d’euros par an. D’autre part, elle conduit à un désarmement des établissements sociaux et médico-sociaux. Ces derniers n’ont plus fondamentalement pour vocation l’accueil de ces enfants mais leur simple accompagnement selon des modalités fixées par convention conclues avec les établissements publics et privés d’enseignement. En définitive, cette politique d’inclusion aveugle nuit à la scolarité de beaucoup d’enfants handicapés et, par ricochet, à celle d’autres élèves.

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Conclusion

La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, dont nous laisserons de côté les incidences sur la situation des enseignants – exigence, sans portée juridique claire, d’engagement et d’exemplarité des personnels de l’éducation nationale comme si un doute existait à cet égard ; possibilité offerte aux étudiants préparant les concours de l’enseignement de donner des cours – parce que ce domaine appartient aux organisations syndicales, nous paraît en définitive un des éléments d’un vaste projet d’ébranlement de l’édifice républicain. Ce texte dévoie l’idéal laïque d’émancipation par l’école au profit d’une conception autoritaire et répressive de l’action de la puissance publique, introduit un symbolisme patriotique d’un autre âge que les pères de l’école publique s’étaient bien gardés d’instituer, accorde une aide accrue à l’enseignement catholique dont le financement massif constitue depuis 1960 une atteinte indirecte mais profonde à la séparation des Églises et de l’État et rompt partiellement mais réellement le lien indéfectible depuis Jules Ferry entre la commune et l’école élémentaire. La FNLP constate qu’après son entrée en vigueur, est intervenue la loi du 24 août 2021 qui sape les fondements de celles du 28 mars 1882, en réduisant la possibilité offerte aux familles d’instruire elles-mêmes leurs enfants, du 1er juillet 1901 sur le contrat d’association et du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Elle note également que les atteintes à l’instruction publique risquent de s’aggraver si le service national universel devient obligatoire, sur le temps scolaire, pour l’ensemble des élèves de la classe de seconde.

Je vous remercie.

Évaluation de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance

Questionnaire en vue de l’audition du 20 mars 2023

  1. Obligation d’instruction

  • Quel regard portez-vous sur l’avancement de l’obligation d’instruction de six à trois ans ? Plus généralement, la prise en charge plus précoce des enfants à l’école vous semble-t-elle de nature à réduire les inégalités scolaires et sociales ?

L’avancement de six à trois ans de l’âge de l’obligation scolaire n’a répondu à aucune nécessité objective dans la mesure où, en pratique, les enfants étaient tous scolarisés avant l’intervention de la loi. Seuls 25 000 d’entre eux ne l’étaient pas.

  • Lors de l’examen du projet de loi, certaines critiques concernaient l’obligation, pour les communes, de contribuer au financement de la scolarisation d’élèves de moins de six ans dans les écoles privées sous contrat. Partagez-vous ce point de vue ? Pour quelles raisons ?

L’abaissement de six à trois ans de l’âge de l’obligation scolaire a entraîné l’obligation pour les communes de financer les classes maternelles des établissements d’enseignement privés sous contrat d’association, pratiquement tous catholiques. Ainsi, se trouvent renforcé le dispositif issu de la loi Debré du 31 décembre 1959, aujourd’hui codifié aux articles 442-5 et suivants du code de l’éducation. Pour la FNLP cette évolution est inacceptable : favorable à la liberté de l’enseignement, elle demande néanmoins de faire reposer celle-ci sur le principe « fonds publics à l’école publique, fonds privé à l’école privée ».

  • Avez-vous connaissance de cas dans lesquels des collectivités territoriales auraient connu des difficultés pour assurer ce financement prévu par la loi ? Les dépenses supplémentaires induites par l’abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire vous semblent-elles correctement compensées par l’État ?

La FNLP observe en premier lieu que la dotation de compensation par l’État du surcoût pour les communes de l’abaissement de six à trois ans de l’âge de l’obligation scolaire est calculée selon une méthode qui en limite le montant. En effet, la prise en compte des évolutions démographiques contraires du premier degré et de l’enseignement préélémentaire atténue fortement ce montant.

La FNLP avait été saisie de ce problème par des conseillers municipaux de la ville de Nevers.

  1. Évaluation de l’école

  • Quelle appréciation portez-vous sur le rôle et le fonctionnement du Conseil d’évaluation de l’école (CEE) ? En particulier, les craintes exprimées, durant l’examen du projet de loi, quant à la moindre indépendance de cette structure à l’égard du ministère de l’Éducation nationale ont-elles été confirmées ?

À la suite d’un rapport de 2018 de la Cour des comptes, le législateur a substitué le CEE au CNESCO qu’avait institué la loi de 2013 sur la refondation de l’école. La composition de la nouvelle instance montre la diminution de la représentation des parlementaires, représentants de la nation, et l’entrée, notamment, de quatre responsables du ministère de l’éducation nationale. Par suite, l’appréciation que certains élus avaient portée sur le projet de loi nous paraît toujours fondée. Il s’agit davantage d’un organisme de coordination des directions du ministère qu’un lieu d’évaluation indépendant.

  • Le principe et l’organisation de l’évaluation des établissements scolaires vous semblent-ils satisfaisants ?

En soi, le principe de l’évaluation de la qualité de l’enseignement délivré dans les établissements ne saurait être en lui-même contesté. Toutefois, dans un contexte de territorialisation de l’instruction publique, la FNLP craint qu’il ne s’agisse, à plus ou moins brève échéance, d’introduire une forme de concurrence entre les établissements publics qui subissent déjà celle de l’enseignement catholique, abondamment financé depuis 1960.

  1. Formation et conditions de travail des agents de l’éducation nationale

  • Quel jugement portez-vous sur le dispositif dit de « préprofessionnalisation » des assistants d’éducation (AED) ? Plus généralement, quel devrait être le rôle de ces agents au sein des établissements scolaires ?

La FNLP note en tout premier lieu que ce dispositif, au même titre que la loi du 26 juillet 2019 dans son ensemble, laisse sans solution la question essentielle : la baisse dramatique du nombre de candidats aux concours de l’enseignement, notamment dans les disciplines scientifiques. Cette situation alimente la dégradation de la qualité de l’instruction.

La FNLP considère, en deuxième lieu, qu’il n’y aurait que des avantages à distinguer clairement le cursus de formation universitaire initial et la phase strictement professionnelle où le recours au mentorat ne peut être que recommandé.

Enfin, la FNLP craint que les assistants d’éducation ne constituent une réserve pour accomplir les tâches normalement dévolues à un professeur titulaire.

  • Quelle a été la portée de la création des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), en remplacement des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (Espé) ?

  1. École inclusive

  • Quelle est votre position concernant l’organisation actuelle de l’accueil des élèves en situation de handicap à l’école ? Quelles améliorations devraient y être apportées ?

L’inclusion au cas par cas d’enfants atteints d’un handicap en milieu scolaire ordinaire ne soulève par elle-même aucune objection de principe, dès lors qu’un diagnostic sérieux est porté sur la situation de chacun. Lorsqu’elle devient le moyen généralisé de répondre aux besoins de ces enfants sur le plan de l’instruction, elle constitue un instrument de réduction des coûts qui entraîne la disparition de l’instruction spécialisée et le désarment des établissements sociaux et médico-sociaux chargés de les accueillir.

Le manque chronique d’AESH, la précarité de leur situation professionnelle, l’indigence de leur rémunération suffit à démontrer le détournement du principe de l’école inclusive au profit d’une politique strictement budgétaire.