Qu’est-ce que l’enseignement catholique ?
En France, l’enseignement catholique compte 7 435 établissements sous contrat avec l’État qui se répartissent en 4 518 écoles, 1 568 collèges, 1 147 lycées et 202 lycées agricoles ; 84 % des établissements du 1er degré sont sous tutelle diocésaine, c’est-à-dire de l’évêque, et 16 % sous tutelle congréganiste[1], dans le second degré respectivement 62 % et 38 % et 95 % et 5 % dans l’enseignement agricole.[2]
À la rentrée 2015, l’enseignement catholique comptait 2 131 926 élèves avec un taux de scolarisation dans les académies de Nantes et de Rennes atteignant jusqu’à 38 % des élèves du 1er degré et 44 % du second degré.
Les Organismes de Gestion de l’Enseignement Catholiques (OGEC) emploient 80 000 salariés : chefs d’établissement, agents de restauration et d’entretien, personnels de vie scolaire, administratifs ou chargés de la maintenance des équipements…
En outre, les établissements catholiques bénéficient de 129 763 enseignants payés par l’État en qualité d’agents publics pour exercer dans les établissements du premier et second degré auxquels s’ajoutent 4 800 dans l’enseignement agricole.
Le financement public de l’État, des régions, départements et communes représente 40 % des ressources des écoles, 44 % de celles des collèges et 45 % de celles des lycées catholiques.
À tous égards, l’enseignement catholique a donc toutes les caractéristiques d’une grande entreprise de réseaux d’écoles, jouissant du privilège extraordinaire de ne rien avoir à débourser pour ses personnels enseignants, ni salaires ni cotisations sociales, un avantage à côté duquel les colossales exonérations sociales et exemptions fiscales consenties aux entreprises depuis des années – le CICE par exemple – font figure d’aumônes.
Florissantes aujourd’hui, les écoles catholiques étaient pourtant vouées, à la fin des années cinquante, à une rapide quasi-disparition, de l’avis même de l’Église. En effet, la baisse continue de leurs effectifs réduisait en conséquence leurs ressources financières. Cette situation résultait tout à la fois de la désaffection religieuse, du discrédit de l’Église résultant de son osmose avec le régime de Vichy et de sa caution à tous ses crimes, et enfin de l’essor de l’enseignement public qui s’était encore développé avec la nationalisation, après la Libération, de nombreuses écoles professionnelles enlevées à un patronat lui aussi vichyste et collaborationniste.
Le salut de l’enseignement catholique vint du coup d’état instituant la Vème République. Pour se consolider, le nouveau pouvoir chercha le soutien de l’Église catholique qui avait beaucoup perdu depuis les lois scolaires laïques et la loi de 1905. La « divine surprise » de l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain n’avait été qu’une parenthèse de courte durée, l’occasion se présentait à nouveau d’occuper une place majeure dans la société française. Le pacte anti laïque et anti républicain avec De Gaulle fut sonnant et trébuchant : la loi 59-1557 du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’Etat et les établissements d’enseignement privés, dite loi Debré.
Avec cette loi, « tous les établissements d’enseignement privé peuvent s’ils répondent à un besoin scolaire reconnu demander à passer avec l’État un contrat d’association à l’Enseignement public » (Art. 4). Dès lors, l’Église catholique allait pouvoir bénéficier chaque année du financement public de ses dépenses pour le fonctionnement des classes de ses écoles « dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l’Enseignement public ».[3]
Dans la Loi de finances 2017, le financement des écoles catholiques des 1er et 2nd degrés représente 7 milliards 500 millions d’euros (7,6 en 2019) du budget de l’Éducation Nationale auxquels s’ajoutent 8 milliards 600 millions d’euros constitués par les subventions des collectivités territoriales, celles d’autres ministères et la taxe d’apprentissage, soit plus de 16 milliards d’euros au total[4], compte non tenu des déductions fiscales offertes aux particuliers et aux entreprises faisant des dons aux écoles privées, via notamment la Fondation St Matthieu. C’est par le biais de ces déductions fiscales qu’est contournée l’interdiction d’aide publique provenant de l’État ou des collectivités locales en faveur de l’immobilier de l’enseignement catholique.
Ce financement public d’écoles confessionnelles n’a été rendu possible que par des subterfuges et des artifices de la part des rédacteurs de la loi Debré et de l’épiscopat compte tenu de l’article 2 de la Loi de séparation des Églises et de l’Etat du 9 décembre 1905 qui stipule que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes ».
Ainsi la Loi Debré ne connaît que des écoles « privées » au mépris de la réalité du caractère confessionnel de 95 % d’entre elles tandis que l’Église catholique, de son côté, a doté ses écoles d’un support juridique particulier : un « organisme de gestion » (l’OGEC[5]) dont « la forme ordinaire et recommandée est l’association, à raison du but d’intérêt général et du caractère non lucratif de cette formule » (Art. 115, 134 et 138 du Statut de l’enseignement catholique en France[6]). Ce faisant, les écoles catholiques peuvent afficher l’absence indiscutable de tout lien juridique avec l’Épiscopat ou des congrégations.
En réalité, bien évidemment, l’Église catholique ne s’est jamais départie de son pouvoir absolu sur la gestion et le fonctionnement quotidien de ses établissements, un pouvoir encore renforcé dans le nouveau Statut[7] de l’enseignement catholique adopté le 18 avril 2013 par la Conférence des évêques.
Des décennies de contournement de la loi de 1905 par la loi Debré combinées aux abandons du camp laïque, gangréné par la deuxième gauche des cléricaux modernistes, ont installé l’enseignement catholique comme une composante de l’Éducation nationale, bénéficiant à ce titre de toujours plus de fonds publics de la part de tous les gouvernements avec la loi Guermeur (1977), la loi Rocard (Enseignement agricole – 1984), les accords Lang-Cloupet (1992 et 1993) et la loi Carle (2009, aggravée en 2016).
L’institutionnalisation du financement de l’enseignement catholique a si bien réussi qu’il s’impose dans les mentalités, au-delà même de ses partisans cléricaux. C’est ainsi que pendant le mandat de Nicolas Sarkozy, tous les syndicats des personnels de l’enseignement public et jusqu’à l’extrême gauche ont dénoncé les suppressions de postes qui frappaient l’enseignement public et également celles du privé catholique. Ce faisant, pour la première fois, des adversaires historiques de la loi Debré accordaient une légitimité à l’Enseignement catholique financé par la spoliation de fonds publics, et certains sont même allés jusqu’à défiler avec les syndicats officiels de l’enseignement catholique[8] (…)
« Une école au service du projet de Dieu »
L’étude du système d’enseignement catholique montre qu’il n’est pas une entreprise aux sens juridique et économique du terme, pas plus qu’il n’est constitué d’écoles au sens républicain d’établissements dispensant des enseignements pour former des citoyens éclairés ou, à tout le moins, simplement d’écoles transmettant les savoirs et les savoir-faire nécessaires pour subvenir à ses besoins en société.
En effet, l’enseignement catholique ne vend pas des services d’instruction et d’éducation à des parents d’élèves-clients comme ce peut être le cas d’écoles privées non confessionnelles, pas plus qu’il ne constitue un ensemble d’écoles qui ajouteraient aux enseignements réglementaires une éducation catholique tel l’enseignement religieux imposé dans les écoles publiques d’Alsace-Moselle en application de la loi Falloux du 15 mars 1850, toujours en vigueur comme l’est le concordat de 1801 au prétexte que cette région était allemande lors du vote de la loi de 1905.
« L’Enseignement catholique est d’abord confessionnel »[9] comme l’avait déclaré le cardinal-archevêque André Vingt-Trois à la veille de l’adoption par l’assemblée plénière de la Conférence des évêques de France du Statut de l’enseignement catholique en France (…)
Ce Statut, avec ses 386 articles, constitue la loi organique de l’Enseignement catholique en France, déclinant dans toutes ses dispositions le Code de droit canonique sur l’Éducation catholique.[10]
Citons quelques articles édifiants de ce Statut qui se passent de tout commentaire :
Art. 8 Aujourd’hui comme hier, l’Église catholique est engagée dans le service de l’éducation. Elle accomplit ainsi la mission qu’elle a reçue du Christ : travailler à faire connaître la Bonne Nouvelle du Salut…
Art. 17 « Le caractère ecclésial de l’école est inscrit au cœur même de son identité d’institution scolaire » Cette particularité « pénètre et façonne chaque instant de son action éducative, partie fondamentale de son identité même et point focal de sa mission ».
Art. 21 Le projet éducatif est le garant de l’unité de l’école, de la communauté qui la constitue et de sa mission. Cet impératif d’unité commande que, dans chaque projet éducatif, on ne fasse pas « de séparation entre le temps d’apprentissage et les temps d’éducation, entre les temps de la connaissance et les temps de la sagesse. Les diverses disciplines ne présentent pas seulement des connaissances à acquérir mais des valeurs à assimiler et des vérités à découvrir. […] Dans la perspective d’un tel projet éducatif chrétien, toutes les disciplines doivent collaborer (…).
Art. 23 L’Évangile est la référence constante des projets éducatifs (…).
Art. 41 Une école au service du projet de Dieu : L’Église poursuit l’œuvre du Seigneur par l’annonce de la Bonne Nouvelle qui est Jésus-Christ lui-même. (…)
« Une institution ecclésiale »
Art. 27 Pour que l’école catholique soit une institution ecclésiale, il est nécessaire que l’autorité légitime dans l’Église catholique confie à certaines personnes une mission spécifique au service de tous. Dans l’Église locale diocésaine, l’évêque institue chaque école catholique par la médiation d’une autorité de tutelle.
Art. 32 Une école catholique (…) se constitue autour d’un chef d’établissement qui reçoit mission de l’Église.
Art. 120 Tout établissement catholique d’enseignement se dote d’un conseil d’établissement (consultatif). Il est présidé par le chef d’établissement ; la tutelle (l’évêque ou la congrégation N.D.R.) y est présente de droit…
Art. 121 Le conseil d’établissement constitue une structure essentielle d’aide au chef d’établissement, qui a pour mission d’assurer l’unité de la communauté éducative, de coordonner les projets et de les inscrire dans les orientations qui lui ont été données par son autorité de tutelle.
Art. 130 L’autorité de tutelle (le directeur diocésain, par mandat de l’évêque, pour les établissements sous tutelle diocésaine, ou le supérieur majeur ou la supérieure majeure, par agrément de l’évêque, pour les établissements sous tutelle congréganiste N.D.R.) participe à l’élaboration du projet éducatif de l’établissement. Elle le valide et vérifie sa mise en œuvre. Elle accompagne sa relecture et son actualisation. (…).
Art. 153 Le caractère institutionnel d’une école catholique procède de la mission confiée à une personne. La nomination d’un chef d’établissement est un envoi en mission qui confie un établissement à une personne choisie : le choix, la nomination et l’envoi relèvent de l’autorité de tutelle, avec l’accord de l’évêque.
Art. 178 Une école catholique reçoit sa mission de l’Église, qui est au principe de sa fondation. C’est par l’autorité de tutelle que lui est donnée une existence ecclésiale. Tout établissement catholique d’enseignement relève donc nécessairement d’une autorité de tutelle, mandatée ou agréée par l’évêque du lieu. (…).
Un « organisme de gestion » pour la forme juridique…
Art. 134 L’organisme de gestion (l’OGEC N.D.R.) a la responsabilité de la gestion économique, financière et sociale d’un ou plusieurs établissement(s) ; il l’exerce conformément aux projets de l’école, aux orientations de l’autorité de tutelle et aux textes internes à l’Enseignement catholique. Il contribue à assurer la mise en œuvre matérielle du projet éducatif. Il est l’employeur des personnels de droit privé.
Art. 137 L’organisme de gestion reconnaît l’autorité de l’évêque du lieu, de la tutelle, du directeur diocésain, délégué épiscopal à l’Enseignement catholique ; cette reconnaissance figure explicitement dans ses statuts.
Une « communauté professionnelle »
Art. 107 Les relations de travail doivent être en cohérence avec le projet éducatif, qui est aussi une référence pour les choix sociaux et d’organisation.
Art. 113 La participation et la coopération sont au principe des relations sociales de travail, auxquelles concourent avantageusement les organisations syndicales de salariés. « En poursuivant leur fin spécifique au service du bien commun », celles-ci contribuent en effet « à la construction de l’ordre social et de la solidarité et représentent donc un élément indispensable de la vie sociale ».
Art. 239 L’organisation de l’Enseignement catholique répond aux principes de subsidiarité, de bien commun et de charité, qui s’appliquent à tous les niveaux (communautés d’établissements, réseaux, diocèse, académie).
Ainsi les écoles catholiques fonctionnent selon les principes de la doctrine sociale de l’Eglise qui définit la conception corporatiste moderne de la société, une organisation sociale qui nie les conflits d’intérêts entre les classes, entre patrons et salariés, dans laquelle les syndicats de travailleurs n’ont plus pour fonction exclusive la défense de leurs mandants mais d’être un corps intermédiaire, soumis comme les relations sociales elles-mêmes au « bien commun », c’est-à-dire aux objectifs que l’Eglise assigne à ses écoles.
En conséquence, les organisations Fep-CFDT, Snec-CFTC et SPELC sont reconnues officiellement dans le Statut de l’Enseignement catholique comme contribuant « à la bonne organisation, au bon fonctionnement et à la vitalité de l’Enseignement catholique » (Art. 303). Elles participent à ce titre « aux instances et conseils prévus par le présent Statut » (Art. 305) (…)
Présents dans toutes ces structures, les évêques sont de fait les véritables patrons, toutes les instances et organismes de gestion ayant pour rôle, selon le principe de subsidiarité, d’appliquer les missions que l’échelon supérieur a décidé de leur assigner, le dernier mot revenant toujours si besoin aux évêques.
L’« École » catholique n’a jamais été une école et ne le sera jamais.
C’est un outil de conformation des consciences, l’éteignoir du libre arbitre, un moyen de la perpétuation du catholicisme, un instrument de la politique et des intérêts économiques des princes de l’Eglise et du Vatican.
Son fonctionnement se présente comme un modèle pour la société, le modèle du corporatisme défini par la doctrine sociale de l’Eglise (encycliques Rerum novarum[11] en 1891, Quadragesimo anno[12] en 1931, Centesimus annus[13] en 1991) dont le régime mussolinien fut la forme contemporaine première, la plus achevée.
Contre les États nations, contre les conquêtes démocratiques et sociales, la doctrine corporatiste « relookée » et portée par l’Union Européenne entend substituer un ordre supranational à la démocratie politique et au suffrage universel. Elle veut transformer les syndicats ouvriers en rouages institutionnels pour préserver un ordre social fauteur de chômage, de misère, de régressions dans tous les domaines et de guerres, ces fléaux qui ont toujours constitué le terreau de la réussite des religions.
Avec sa doctrine, l’Eglise a fourni son drapeau à 12 étoiles aux agents de cette offensive réactionnaire qu’elle forme dans ses écoles dont la prospérité se nourrit des fonds publics, grâce à la loi Debré en France, et, ailleurs, aux concordats signés par le Vatican avec les dictatures du XXe siècle.
Parce qu’elle n’a pas pour objectif de former des citoyens, maîtres de leurs pensées, mais des croyants, des fidèles aux commandements de l’Eglise, l’Ecole catholique n’est pas une école, encore moins une « école libre » ! Elle le revendique uniquement pour la forme afin de justifier son financement public qui viole la loi de 1905.
Jacques FassiéN.B. Les passages entre guillemets inclus dans les passages – en italiques – tirés du Statut de l’enseignement catholique sont des extraits de documents conciliaires ou congréganistes dont les références figurent en no
[1] 106 congrégations dont 83 congrégations féminines et 23 congrégations masculines. Leurs 1 110 établissements scolarisent 700 000 élèves de l’Enseignement Catholique (source : Union des Réseaux Congréganistes de l’Enseignement Catholique http://www.urcec.org/)
[2] https://enseignement-catholique.fr/chiffres-cles-2017/
[3] Loi Debré https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000000693420
[4] Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche – Edition 2017 – Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Éducation Nationale
[5] Organisme de Gestion de l’Enseignement Catholique. La Fédération nationale des OGEC fait partie des organismes nationaux de l’Enseignement catholique.
[6] https://enseignement-catholique.fr/statut-enseignement-catholique/ p. 23 et 25
[7] https://enseignement-catholique.fr/statut-enseignement-catholique/
[8] https://enseignement-catholique.fr/statut-enseignement-catholique/ Art. 306 p. 43
[9] http://www.eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/cef/assemblees-plenieres/assemblee-pleniere-davril-2013/365841-cardinal-vingt-trois-lenseignement-catholique-est-dabord-confessionnel/
[10] http://www.vatican.va/archive/FRA0037/__P2K.HTM
[11] http://w2.vatican.va/content/leo-xiii/fr/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_15051891_rerum-novarum.html
[12] http://www.doctrine-sociale-catholique.fr/117-quadragesimo-anno#p1
[13] http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_01051991_centesimus-annus.html