En direct avec monsieur Pierre Vignon, prêtre
En direct
avec monsieur Pierre Vignon,
prêtre
La Raison
: M. Pierre
Vignon, d’abord, nous vous remercions de livrer votre opinion à la
revue
mensuelle de la Libre Pensée. Pourriez-vous, en premier lieu, vous
présenter à
nos lecteurs ?
Pierre Vignon : Je désire commencer par
remercier
votre revue qui s’adresse à moi en tant que prêtre. J’y suis sensible.
Au-delà
de ce choix de vie que j’ai fait il y a quarante ans, c’est au nom de
notre
humanité que je suis heureux de faire ce bref partage avec vous. J’ai
eu de
bons parents, bons citoyens, travailleurs syndiqués, et fervents
chrétiens, qui
ont enseigné à leurs trois enfants un profond respect pour la personne
de
l’autre et un très grand amour de la liberté. Étant issu d’une famille
résistante du Vercors, deux insultes graves étaient réservées pour les
cas
limites à la maison : « sale milico »
(milicien) et « calotin ». Peut-être pas très charitable
penseront certains, mais terriblement efficace pour des situations
embrouillées.
Toujours
est-il que j’ai hérité de cet esprit et que je ne m’en suis jamais
départi,
étant gêné durant toute ma vie par les manifestations parfois étroites
de
certains esprits obtus dans le milieu clérical. On gagne toujours à
chercher à
comprendre les raisons profondes, et parfois cachées, des réactions des
autres.
On comprend vite qu’on aurait réagi de façon pire, si on s’était retrouvé
dans les mêmes
conditions. Bref, il se trouve que j’ai eu l’occasion de rencontrer des
chrétiens et des prêtres heureux dans mon enfance, qu’ils étaient tout
sauf
sectaires, et j’ai fait ce choix de la vie sacerdotale, respectant le
plus
possible la liberté d’autrui, en essayant de la lui rendre s’il voulait
s’en
dispenser.
LR :
Alors que votre ministère vous avait
depuis longtemps donné l’occasion de connaître des cas d’abus sexuels
au sein
de l’Église, pourquoi avez-vous éprouvé le besoin, en 2018, au prix
d’une
entorse au devoir d’obéissance à votre évêque, de lancer une pétition
adressée
au pape pour demander la démission – ce n’est pas rien – du cardinal Philippe Barbarin, après la découverte
de l’ampleur des agressions sexuelles commises par M. Bernard
Preynat, sur des mineurs de moins de quinze ans ? La
circonstance que la Cour d’appel de Lyon ait relaxé M. Philippe
Barbarin en
raison de la prescription probable des faits qui lui étaient reprochés
vous
conduit-elle à regarder différemment votre initiative ?
PV :
L’obéissance à son évêque pour un prêtre ne consiste pas dans le fait
d’épouser
ses opinions particulières, politiques ou autres. Si j’avais dû
promettre cela,
je ne serais jamais devenu prêtre. L’obéissance consiste à répondre
favorablement aux nominations pour le ministère, s’il n’y a pas d’objection
raisonnable
à y faire. La relation d’obéissance du prêtre n’est pas celle des
religieux et
religieuses dans le cadre de leurs vœux. Et là encore, il y a beaucoup
de
précisions à apporter,
car il ne s’agit pas d’aliéner sa liberté fondamentale.
Lorsqu’un
responsable religieux, évêque, supérieur(e), outrepasse ses
prérogatives, c’est
un devoir de le dénoncer et de s’y opposer. Pour en venir à la
situation du
cardinal Philippe Barbarin, il
n’était pas mon évêque mais, désolé pour la cuisine interne,
l’archevêque
métropolitain de Lyon dont relève Valence. Il était le responsable du Tribunal pour les affaires ecclésiastiques
dans lequel je travaillais,
mais je n’avais pas à dépendre de lui dans mes choix de juge qui
relèvent
toujours en dernier lieu de l’intime conviction. De façon générale, je
n’approuvais pas la façon de gouverner son diocèse par le cardinal
archevêque.
Je lui reprochais de ne pas écouter, ce qui n’était pas le cas de ses
prédécesseurs, d’être impulsif dans ses décisions, et de les imposer
sans tenir
compte des objections raisonnables qui pouvaient lui être faites. Ayant
observé
et analysé ce comportement, et comme la lucidité n’est pas un péché
pour un
prêtre, bien au contraire, je me suis tenu à distance par précaution.
Il
se trouve que je m’occupais de fait de défendre les dossiers de
personnes qui
se trouvaient coincées d’une façon ou de l’autre dans l’institution
« Église
».
D’abord dans le domaine des dérives
sectaires, quand un(e) supérieur(e) abuse de sa situation pour mettre un ou plusieurs sujets plus fragiles sous son
emprise. Ce travail, mené de front avec d’autres, a abouti à la
création d’une
cellule contre les dérives sectaires internes à l’Église au sein de la
Conférence des Evêques de France. C’est actuellement Mgr Alain
Planet, évêque de Carcassonne, qui la dirige. Bien qu’il
reste encore à faire dans ce domaine, la France est la première à
s’occuper de
ces questions dans l’Église. Et c’est comme naturellement que je suis
passé,
sans l’avoir cherché, tout simplement à
cause de l’écoute des victimes, au chapitre des abus sexuels. Afin de
mieux
pouvoir aider, en particulier pour l’établissement d’un dossier, je
suis resté
longtemps en retrait.
Quand
l’affaire de La Parole Libérée a
éclaté, c’est tout naturellement que je me suis adressé discrètement à
son
Président, François Devaux, pour lui
apporter mon soutien. Sans l’avoir cherché, j’étais le premier, et
hélas l’un
des rares prêtres, à le faire. Là aussi il a été entendu que je pouvais
apporter une aide plus utile en n’occupant pas le devant de la scène.
C’est le
20 août 2018 que le pape François a
fait un coup d’éclat en publiant un document totalement original dans
l’Histoire de l’Église, la Lettre au
Peuple de Dieu, où il invitait
tous les chrétiens à s’emparer du dossier des abus, en particulier
sexuels.
Le
soir du 20 août, j’ai rédigé un texte pour le cardinal Barbarin à qui
j’avais
déjà écrit personnellement pour lui demander de changer d’attitude dans
l’affaire Preynat, et j’en ai donné
connaissance à François Devaux et à Aymeri
Suarez-Pazos, Présidents de deux
associations de défense des victimes. François Devaux m’a demandé si
j’accepterais que ma lettre soit mise en ligne avec une pétition. J’ai
répondu
favorablement,
à condition que je ne m’occupe pas de la
pétition. Cette lettre et cette pétition ont eu un écho mondial auquel
nous ne
nous attendions pas. Et puisque j’étais projeté sous les feux de la
rampe sans
l’avoir cherché, pour les victimes, en conscience, j’ai décidé de ne
pas
reculer.
LR :
Vous avez été longtemps juge à
l’officialité interdiocésaine de Lyon, avant d’être démis de vos
fonctions.
Vous êtes donc en mesure de nous donner une réponse éclairée de juriste, mais aussi
d’homme sur les questions
suivantes. D’une part, si le droit canonique regarde les atteintes
sexuelles
sur mineurs comme un délit, en revanche il impose le secret à tous ceux
qui ont
connaissance de l’infraction. Cette culture du secret n’est-elle pas un
problème majeur ? D’autre part, s’agissant de la loi civile, les délais
de
prescription fixés par le Code de
procédure pénale et applicables au délit vous semblent-ils
suffisants ?
PV :
Le secret de l’instruction dans une procédure est une chose positive en
soi, car il protège les
personnes dans les
affaires particulièrement délicates. L’histoire du secret dans les
affaires
juridiques est intéressante à faire. La difficulté a surgi avec la
prise en
compte des victimes dans notre société. Pendant des millénaires, les
victimes
se sont donné la mort ou se sont tues. Libérer la parole est un fait
nouveau
dans l’histoire de l’Humanité et ce fait gêne toutes les institutions.
Dans le
cas de l’Église, cela se complique du fait que l’Église, depuis la
Révolution
française, s’est souvent senti attaquée et a pris des mesures pour se
protéger.
L’une d’elles était le renforcement du secret. Devant l’émergence de la
parole
des victimes, cette façon de faire s’est révélée nocive.
C’est
un des premiers points qui a été mis en avant dans les différents lieux
où les
questions d’abus sont étudiées si bien que le pape François
a pris une décision,
qu’on peut qualifier d’historique,
le 17 décembre dernier : il a levé
le secret pontifical dans les cas de violences sexuelles et d’abus sur
mineurs
commis par des membres du clergé. Pour ce qui relève des délais de
prescription
dans le Code de procédure pénale, des
progrès ont été réalisés. Compte tenu des découvertes de la psychologie
et des
sciences cognitives, il faudra encore avancer, non seulement pour les
délais de
prescription,
mais aussi pour les facilités concernant le signalement des abus, en
particulier par les médecins et ceux qui s’occupent de l’enfance et de
la
jeunesse.
LR :
Pour achever cet entretien, nous
souhaiterions connaître votre point de vue sur la situation actuelle et
l’évolution éventuelle de l’Église, confrontée à une crise très
profonde du
fait des infractions commises par des prêtres sur des mineurs sur tous
les
continents. Par ailleurs, s’agissant de l’Église de France,
qu’attendez-vous de
la commission présidée par M. Jean-Marc
Sauvé, vice-président honoraire du Conseil
d’État ? Peut-elle, selon vous, répondre à la douleur immense des
victimes
auxquelles vous ne ménagez pas votre soutien ?
PV :
De mon point de vue, je considère positivement la crise que nous
traversons. Si
nous sommes touchés par une telle gangrène, notre intérêt est de la
diagnostiquer, de l’éradiquer et d’en guérir définitivement. Le fait
nouveau de
la libération de la parole atteint tous les milieux sociaux et toutes
les
formes d’institution. Je ne partage pas la mentalité complotiste de
certains
chrétiens. Les médias, les associations de défense des victimes et
autres nous
aident à faire le ménage,
quand nos responsables rechignent à le faire. C’est dans ce sens que
j’ai un
regard très positif sur la Commission Sauvé,
d’une part à cause des indéniables qualités de son Président, d’autre
part pour
ses préconisations qui nous seront très utiles pour sortir de l’esprit
d’abus
qui réside dans le cléricalisme. Elle ne fera pas tout, mais beaucoup et rien que
cela sera un
bien pour les victimes. Il faut encore du temps. De bonnes mesures ont
déjà été
prises. D’autres sont encore à venir. Nul doute que la Commission
aidera à
avancer.
copyright
Affiche H Assouline
(Propos recueillis par
Christian
Eyschen)