Il a 150 ans, la Commune de Paris débutait
Oui, aujourd’hui voilà 150 ans exactement, le 18 mars 1871, Adolphe Thiers, sans préavis, envoyait deux généraux de l’armée versaillaise confisquer les canons de la butte Montmartre que les Parisiens avaient payés de leurs deniers et devant lesquels ils montaient la garde. Cette agression se heurte à une résistance armée et se solde par l’exécution de ces deux généraux et l’acheminement des canons vers Paris : la Commune révolutionnaire de Paris commence.
Car les Parisiens, comme les Marseillais et bien des citadins de province, refusaient la paix honteuse qu’Adolphe Thiers avait signée avec la Prusse. Dans des conditions anti-démocratiques et avec la complicité des occupants prussiens, une élection biaisée avait élu une Assemblée à majorité monarchique pour l’entériner. Elle avait rempli son rôle en ratifiant officiellement ce traité le 1er mars 1871 par 546 voix contre 107 et 23 abstentions. Cette assemblée réactionnaire qui menaçait l’existence même de la République outrepassait ses droits en se maintenant après ce vote, et ce pour soutenir le gouvernement de Thiers dans le but avoué d’un rétablissement rapide de la monarchie.
Devant ce danger et les mesures réactionnaires qui se succèdent, à Paris et un peu partout dans le pays, de différentes manières, le mécontentement et l’agitation montent. Des résistances républicaines s’organisent sous diverses formes.
« L’affaire des canons » (1), c’est-à—dire la question de leur restitution après la guerre, était sur le point de se résoudre sans violence. La tentative de Thiers s’inscrit dans une série de mesures provocatrices telle que celle du départ de l’Assemblée pour Versailles, lieu du pouvoir monarchique par excellence, qui retire ainsi à Paris, ville républicaine son rôle de capitale.
Marseille suit de près ces évènements, et réagit en conséquence. Et c’est aussi pour soutenir Paris dans cette affaire que Gaston Crémieux et ses amis feront crier « Vive Paris ! » aux Marseillais le 22 mars 1871, donnant à leur tour le signal d’une autre Commune insurrectionnelle, celle de Marseille…
Pour marquer quand même ce jour mémorable, voici un texte sur la réaction des Marseillais de l’époque à ces évènements à travers les journaux des différences tendances. Et vous verrez que, comme aujourd’hui, les commentaires négatifs et parfois injurieux des conservateurs soutenant le gouvernement de Thiers s’opposent à l’analyse rationnelle et généreuse des défenseurs de la République, la vraie : la République démocratique et sociale.
1) Pour connaître les détails de cette affaire voir le bel article sur le sujet sur le site des Amies et Amis de la Commune de Paris (1871) https://www.commune1871.org/la-commune-de-paris/histoire-de-la-commune/commune-1871-ephemeride/1166-commune-1871-ephemeride-17-mars-les-canons-de-la-commune
LE 18 MARS PARISIEN 1871 VU DE MARSEILLE
Des Marseillais avides de nouvelles, une presse marseillaise variée et abondante
Les évènements du 18 mars 1871 à Paris et leur suite ont un grand retentissement à Marseille où la population suit de près les nouvelles venant de la capitale. Mais comme c’est alors le cas pour les autres villes de province, elles arrivent avec un certain décalage dans le temps. Si le télégraphe permet à la presse locale de diffuser rapidement les dépêches dites « électriques » qui annoncent en quelques phrases certains faits importants ou les communiqués officiels, le plus souvent les reportages et les témoignages détaillés ne peuvent être lus que deux ou trois jours plus tard. Dans la dernière période de l’Empire et plus encore depuis le 4 septembre 1870, les journaux marseillais foisonnent. Mais il s’agit pour la plupart de modestes feuilles d’opinion, qui faute de moyens financiers doivent se contenter de répéter les articles émis par les journaux parisiens ou ceux que vend l’agence Havas un peu partout en France. Les titres les plus importants proposent des revues de presse étoffées, ont des correspondants réguliers dans la capitale et publient quand ils arrivent les témoignages qu’on leur envoie. Ainsi la presse marseillaise ne peut offrir à ses lecteurs le détail de cette journée parisienne décisive qu’à partir du 22 mars.
Quelques grands titres se partagent l’essentiel du lectorat et recouvre le spectre politique de la ville :
La Gazette du Midi est le puissant organe des légitimistes et des catholiques ; Le Sémaphore de Marseille est le journal des armateurs et des hommes d’affaires socialement conservateurs, souvent orléanistes ou libéraux, tandis que les Républicains plus ou moins modérés se retrouvent dans Le Petit Marseillais ; enfin les Républicains radicaux lisent Le Peuple alors que les révolutionnaires, les socialistes, les membres de l’Internationale et les ouvriers préfèrent souvent L’Égalité … Le récit et les commentaires de chacun d’eux traduisent, bien sûr, cette partition politique qui n’interdit pas les échanges. Car à Marseille, le débat est intense, chaque camp lit la presse de l’autre, la cite abondamment ou lui répond, les journalistes se connaissent tous et s’estiment souvent. Quelques extraits de journaux donnent une idée de l’affrontement de ces différents points de vue.
La Gazette du Midi et Le Sémaphore contre « la République de Montmartre »
La Gazette du Midi s’indigne contre les Parisiens depuis le début du mois. Le Sémaphore, reprenant les articles des journaux conservateurs, et avant même d’apprendre les évènements du 18 mars se préoccupe surtout des intérêts des affaires commerciales et financières de ses lecteurs. Selon lui, le gouvernement de Thiers se doit de régler rapidement l’« affaire de Montmartre » en sévissant contre « les agitateurs de Belleville et de Montmartre » (édition du 18 mars 1871).
Et lorsque les premiers bruits de cette fameuse journée arrivent, portés par les journaux parisiens, sa une traduit l’inquiétude de l’opinion marseillaise devant le manque de nouvelles précises, tout en condamnant d’ores et déjà « la République de Montmartre », estimant les habitants de ces quartiers « tyrannisés » (édition du 21 mars 1871).
Comme celle du Petit Marseillais (extrait 1), son édition du 22 mars relate enfin tous les détails, essentiellement à partir du récit publié dans Paris-Journal et d’autrestitres parisiens désormais disponibles, le tout parsemé de commentaires souvent négatifs (extrait 2): les insurgés se font traiter de « fous » et de « mauvais citoyens » :
L’Égalité accuse Thiers et défend Paris
À l’opposé, L’Égalité relate les faits avec mesure, les analyse lucidement et propose des solutions. Si lui aussi exprime son indignation à propos de l’exécution des deux généraux, il cherche à comprendre la cause profonde de la rébellion et dénonce les responsabilités d‘Adolphe Thiers, les provocations de son gouvernement et de l’Assemblée nationale. C’est ce que montre son bel éditorial du 22 mars 1871, dont voici la transcription des extraits les plus significatifs :
Marseille, le 21 mars 1871 Les provocations monarchiques ont produit l’effet prévu. Le sang des Français a coulé dans les rues de Paris sous les yeux des vainqueurs prussiens […] Paris venait de donner à la France son unique moyen de salut en arrêtant à lui seul pendant cinq mois et demi l’invasion prussienne […] Il voulait une énergique résistance et l’affermissement de la République. On a cédé sans qu’a son avis les moyens de lutte aient été assez sérieusement employés ; on a composé une Chambre monarchique […] Qu’a-t-on fait pour le calmer ? L’Assemblée a voulu lui enlever son titre historique de capitale […], elle a voulu siéger hors de ses murs, elle a forcé des députés patriotes à donner leur démission. M. Thiers […] a maintenu le gouvernement de Paris du général Vinoy, le séide du coup d’État, le fusilleur des paysans bas-alpins. Il a confié le commandement de la Garde Nationale au général d’Aurelle de Paladines, dont les sentiments anti-républicains sont bien connus […] Il a supprimé six journaux accusés selon lui de pillage : toujours des insultes au lieu de raisons. Il a confié la police à un colonel de gendarmerie détesté par le peuple. Enfin on a fait éclater la guerre civile en hâtant la solution de la question de Montmartre. Chacun s’attendait à une solution pacifique. Paris s’était couché tranquille […] Aucune proclamation n’avait été faite, car comme le fait remarquer Le Pays, les proclamations ont suivi l’acte au lieu de le précéder. Les proclamations enfin connues et que l’on trouvera plus loin n’ont pas apaisé la population […] Comme d’habitude, la première victime a été un Républicain. Clément Thomas, rédacteur du National sous Louis-Philippe, bientôt représentant du peuple, général de la garde nationale en 1848 et en 1870, a été arrêté par de misérables assassins et fusillé contre un mur malgré les efforts, nous dit Le Gaulois, d’un Garibaldien qui se trouvait là. Le Général Lecomte a été tué avec. […] Quelle est donc la situation actuelle ? Evidemment un gouvernement a été installé à Paris. L’Assemblée nationale s’est réunie à Versailles hier, comme le montre la dépêche datée du 20, à 3 heures 50 du soir. Il y a donc scission absolue entre Paris et le Gouvernement. Cet état ne peut se prolonger un seul jour. Quelle est donc la solution possible et convenable ? Elle s’impose à tous les bons esprits. Que l’Assemblée déclare sa mission terminée. Elle l’est, terminée, et dépassée ; car on ne lui avait pas demandé la guerre civile. Qu’une Constituante soit convoquée, puisqu’on professe un si grand et si récent amour du suffrage universel. Que l’on fortifie le gouvernement par l’adjonction de quelques noms républicains qui rassurent l’opinion publique contre ces tentatives de restauration monarchique annoncées avec tant d’imprudence et d’impudeur. Et les plus grands malheurs pourront être évités. Que ne pouvons-nous faire entendre notre voix à une assemblée provocatrice, à un gouvernement entraîné, maladroit, à des députés dont le silence est un malheur public en ce moment terrible, à des hommes que la douleur et l’indignation égarent. Nous interromprions notre deuil pour leur crier de toutes les forces de notre âme : songez, songez que vous êtes Français, que l’ennemi est là, devant vous, et qu’il s’agit de sauver ce qui reste de la France… GILLY DE LA PALUD |
(L’orthographe d’origine est respectée, mais les phrases sont regroupées en paragraphes pour en faciliter la lecture)
Sources :
Journaux marseillais du 18 au 26 mars 1871 : Le Sémaphore de Marseille, Le petit Marseillais (consultables sur Galica.fr) – Gazette du Midi, l’Égalité, archives municipales de Marseille.
Bibliographie : Des journaux et des hommes, du XVIIIème au XXIème siècle à Marseille et en Provence, Constant Vautravers et Alex Mattalia, Avignon, 1994.
Chantal Champet
Voir le document PDF