La responsabilité de l’État en matière de condamnation de l’homosexualité

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

La Fédération nationale de la Libre Pensée a pris connaissance de l’article paru dans Médiapart

( Un Wolfgang Lauinger français  ? Répression de l’homosexualité et réparations refusées | Le Club (mediapart.fr) / «  Répression de l’homosexualité et réparations refusées. Discutée le 6 mars à l’Assemblée, la loi portant réparation des condamnations pour homosexualité est largement incomplète et lacunaire. De nombreux hommes, arrêtés et condamnés, seront exclus de son champ d’application. Loin d’être inédit, le problème s’est posé dans d’autres pays. En Allemagne, la loi de 2017 avait dû être amendée dès 2019, car elle écartait des homosexuels persécutés. »

L’analyse de la Libre Pensée

Afin e compléter la loi du 4 août 1982 par laquelle la République a mis fin aux discriminations visant les homosexuels et tirer les conséquences que celle-ci n’a pas déduites de cette injustice en termes de responsabilité de l’État à l’égard des personnes condamnées sur le fondement de la loi du 6 août 1942 promulguée par le Régime de Vichy, sur l’initiative de M. Hussein Bourgi, Sénateur socialiste de l’Hérault, le Sénat a examiné en première lecture une proposition de loi de réparation présentant trois aspects.

D’une part, celle-ci reconnaissait la responsabilité de l’État dans la survenue des préjudices subis par les homosexuels condamnés à compter du 6 août 1942.

D’autre part, elle instituait un régime forfaitaire d’indemnisation des victimes dont la situation devait être examinée par une Commission nationale indépendante.

Enfin, elle prévoyait de réprimer un nouveau délit de négation de l’existence de la déportation des homosexuels dans les camps vichystes et nazis, une sorte d’extension de la loi Gayssot de 1990. La version adoptée par le Sénat de cette proposition de loi viendra en discussion à l’Assemblée nationale le 6 mars 2024.

Si le Sénat, au rapport de M. Francis Szpiner (Les Républicains), a réservé une suite favorable à cette proposition de loi, le 22 novembre 2023, la Haute Assemblée l’a toutefois grandement dénaturée, en s’offrant d’ailleurs le luxe de statuer sur le texte initial et non sur celui de la Commission des lois qui s’est bornée à formuler des recommandations, suivies à la lettre par la quasi-totalité des Sénateurs[1]1. Avant d’examiner le contenu de cette dénaturation et le champ restreint de cette proposition de loi, il paraît utile de revenir brièvement sur l’histoire de la répression pénale de l’homosexualité en France, sans préjudice de son traitement sanitaire[2].

Sous l’Ancien-Régime, la sodomie était passible de la peine de mort. C’est pourquoi,  cinq jours après son installation, l’Assemblée nationale législative a voté la loi du 6 octobre 1791 dépénalisant l’homosexualité. Ce progrès a été de courte durée. Le Code pénal de 1810 a créé un délit « d’outrage public à la pudeur » (article 330 ancien), puni d’un emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende, et, à côté du viol, une incrimination d’« attentat à la pudeur » (article 331 ancien), sanctionné par la réclusion. Sur le fondement de ces dispositions, nombre d’homosexuels ont été lourdement condamnés au fil des décennies.

En 1942, sous l’impulsion de l’amiral François Darlan, successeur désigné de Philippe Pétain, celui-ci a promulgué la loi du 6 août 1942 du gouvernement de Pierre Laval qui ajoutait une nouvelle disposition dans l’ancien Code pénal de 1810 ainsi rédigée : « […] sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 6 000 francs à 12 000 francs quiconque aura commis un acte impudique ou contre-nature avec un individu de son sexe mineur de 21 ans. »

Ce texte introduisait trois éléments nouveaux : d’une part, il retenait la notion, juridiquement floue, d’« acte impudique ou contre-nature » ; d’autre part, il réprimait non un acte commis « sur » une personne, mais « avec » elle, ce qui revenait à pénaliser un acte consenti ; enfin, étaient en cause les mineurs de vingt-et-un ans alors que la majorité sexuelle était alors fixée à treize ans[3]. En bref, la législation de Vichy réprimait les relations homosexuelles consenties impliquant un mineur de vingt-et-un alors que des rapports hétérosexuels sans contrainte étaient juridiquement admis à partir de treize ans révolus.

Il importe de préciser également que le Régime de Vichy a réprimé les homosexuels en zone non occupée en leur infligeant un internement administratif dès 1940. En zones occupée et annexée, les Français soupçonnés de commerce charnel avec un soldat allemand étaient traduits devant une cour spéciale ou directement déportés dans le camp de Schirmek[4].

Enfin, la Cinquième République naissante a aggravé la législation de Vichy conservée en 1945. Par une ordonnance du 25 novembre 1960, le gouvernement de Michel Debré a doublé les peines infligées aux homosexuels à raison des délits commis par eux en cette qualité. L’influence réactionnaire de l’Église romaine s’est alors étendue au-delà des murs de l’école catholique.

En quoi la proposition de loi inspirée par le sénateur Hussein Bourgi a fait l’objet d’une dénaturation, notamment par les héritiers de Michel Debré ?

En premier lieu, en ne retenant pas la date mentionnée à l’origine dans le texte, à savoir celle du 6 août 1942, le Sénat, au prétexte de limiter la responsabilité de l’État à la seule période postérieure à la restauration de la République, laisse délibérément leur plein effet aux décisions judiciaires discriminatoires prononcées du 6 août 1942 au 7 février 1945[5]. Plusieurs arguments conduisent à penser que le choix initial était le bon et, par suite, à contester la solution retenue par la Haute Assemblée.

D’une part, le principe de fraternité qui guide la République paraît difficilement conciliable avec l’abandon des victimes d’un régime aux antipodes de celle-ci. D’autre part, un tel raisonnement aurait dû conduire, par exemple, Jacques Chirac à refuser de reconnaître en 1995 la responsabilité de la France dans la mise en œuvre de la solution finale en raison en particulier du concours apporté par la police française à l’arrestation des Juifs et par la SNCF à l’organisation des convois vers les camps de la mort. Enfin, le seul fait d’avoir maintenu la législation de Vichy en la matière après la Libération fait peser une responsabilité morale sur l’État pour l’intégralité de la période du 6 août 1942 au 4 août 1982.

En deuxième lieu, à la différence d’autres injustices très anciennes qui ne peuvent être réparées que de façon symbolique pour des raisons pratiques – c’est ainsi le cas des Fusillés pour l’exemple de la Grande Guerre -, il en va ici différemment. Des victimes sont encore vivantes, ou, si elles sont décédées, leurs familles portent encore le poids de l’injustice sur leurs épaules, les archives étant facilement accessibles. Dans ces conditions, la réparation ne saurait être purement formelle. Là encore, le texte initial avait utilement prévu une indemnité forfaitaire de 10 000 euros à accorder à la suite de l’examen des dossiers par une Commission indépendante placée auprès du Premier ministre.

Bien qu’ils aient entendu plaider contre ce versement, le Président de la Commission des lois du Sénat et le Rapporteur ont dû reconnaître que trois pays au moins ont réhabilité les homosexuels injustement condamnés à raison de leur seule orientation sexuelle en attribuant aux victimes une réparation financière : l’Espagne, l’Allemagne et le Canada. Dans la mesure où le nombre estimé de victimes s’élèverait à dix mille, le coût global prévisionnel de la réparation, gagé par une recette nouvelle, serait de l’ordre de 100 millions d’euros au maximum.

En revanche, fidèle à ses positions traditionnelles, la Fédération nationale de la Libre Pensée (FNLP) ne saurait regretter la suppression par le Sénat de la disposition du texte initial tendant à créer un nouveau délit de presse de négation de l’existence de la persécution des homosexuels sous le Régime de Vichy. Il paraît préférable de laisser une entière liberté aux historiens pour établir les faits de manière incontestable et, au besoin, les réinterroger autant qu’il est nécessaire. C’est le meilleur moyen de combattre les thèses négationnistes de toute nature.

Le texte soumis au Sénat à l’initiative de M. Hussein Bourgi ne réglait pas le sort des milliers d’homosexuels condamnés sur le fondement des incriminations « d’outrage public à la pudeur » (article 330 ancien du Code pénal de 1810) et d’« attentat à la pudeur » (article 331 ancien du Code pénal de 1810). Selon une estimation courante à confirmer, le nombre des victimes pourrait atteindre 50 000.

S’il ne s’agit pas de nier les préjudices subis par ces victimes, toutefois leur réparation individuelle paraît infiniment plus difficile à concevoir en la matière compte tenu de l’ancienneté de certaines affaires et du caractère bien souvent laconique de la motivation des décisions judiciaires. Or, nombre d’autres personnes qui n’étaient pas homosexuelles ont été également condamnées pour ces deux motifs, de sorte que la distinction des condamnations infligées aux seuls homosexuels s’avérerait pour le moins compliquée. Dans ces conditions, seule une réparation morale collective à caractère mémoriel serait possible sans pouvoir établir la liste ni même le nombre exact des victimes. À cet égard, la loi ne semble pas le meilleur moyen de répondre à cette situation.

En définitive, la Libre Pensée considère que la version de la proposition de loi Bourgi votée en première lecture par le Sénat, le 22 novembre 2023, ne répond pas à l’objectif qu’entendait atteindre le texte initial de réparation des préjudices subis par les homosexuels du fait des discriminations prévues par la loi de Vichy du 6 août 1942, en vigueur jusqu’au 4 août 1982. Elle demande donc à l’Assemblée nationale de la rétablir dans sa version d’origine, à l’exception de son article 2 instituant un nouveau délit de presse relatif à la négation de la déportation des homosexuels pendant la Seconde Guerre mondiale.

En ce qui concerne la réparation symbolique des injustices commises à l’endroit des homosexuels sur le fondement des incriminations « d’outrage public à la pudeur » (article 330 ancien) et d’« attentat à la pudeur » (article 331 ancien du Code pénal de 1810), l’Assemblée nationale et le Sénat pourraient adopter dans les mêmes termes une résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution du 4 octobre 1958.  

Répression des Homosexuels : de Vichy à la 5e République :

La Réhabilitation est due !

Les Réparations doivent être faites !

Paris, le 26 février 2024

 

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[1] votants, 343 pour, 0 contre, 1 abstention, 4 non participations au vote.

[2] ’homosexualité a figuré comme pathologie mentale dans la classification internationale des maladies (CIM) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) jusqu’en 1992, liste à laquelle la France se référait.

[3] Elle sera portée à quinze ans en 1945.

[4] Jean-Luc Schwab, La répression de l’homosexualité en France entre 1940 et 1945, in Témoigner–entre histoire et mémoire, n° 125, 2017, pages 85 à 107.

[5] ’est la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante, publiée au Journal officiel de la République française le 4. Cette ordonnance n’abroge pas la loi du 6 août 1942 du régime de Vichy.