IL Y A 150 ANS, LE 4 AVRIL 1871 : LA COMMUNE DE MARSEILLE EST ECRASEE DANS LE SANG
Dimanche 4 avril 2021 marque le 150ème anniversaire de l’écrasement sanglant de la Commune de Marseille. Ce tragique évènement mettait un arrêt brutal aux espoirs de justice sociale et de démocratie espérée non seulement par Gaston Crémieux et ses compagnons mais aussi par toute une partie de la population marseillaise. Pour marquer ce jour qui resta longtemps dans la mémoire des Marseillais (cf la dernière partie du présent article) voici un bref rappel des circonstances dans lesquelles se déroula cette funeste journée.
A une toute autre échelle que Paris, bien sûr, en avril 1871, Marseille a eu son petit Adolphe Thiers en la personne du Général Espivent de la Villeboisnet. Aubagne fut son Versailles. L’écrasement militaire de sa Commune ne s’étala pas sur une semaine mais durant les combats extrêmement violents du 4 avril 1871 puis pendant la dure répression qui suivit, le sang de nombreux Marseillais coula et la vie d’un plus grand nombre encore fut gravement affectée.
Les dernières journées agitées de la Commune
Après 13 jours d’existence (1) la Commune révolutionnaire de Marseille fait face à de grandes difficultés .A la préfecture, la Commission départementale provisoire formée le 23 mars, très divisée entre modérés, radicaux, révolutionnaires dont des membres de l’Internationale, s’avère impuissante à gérer une situation critique générée par la fuite des fonctionnaires et la fermeture des finance publiques.
Le 27 mars la municipalité décide de retirer ses délégués et le club républicain de la Garde nationale en fait de même quelques heures après. Un apaisement aurait pu être trouvé mais l’arrivée le jour-même à Marseille de trois représentants de la Commune de Paris, Charles Amouroux, Albert May et Bernard Landeck, radicalise les positions.
Charles Landeck prend la direction effective de la Commission et, s’opposant à Gaston Crémieux, le président officiel, il la pousse à dissoudre le conseil municipal et à ne pas libérer les otages. Les caisses de l’octroi sont saisies. Au balcon de la préfecture le drapeau rouge est remplacé par le drapeau noir. Et surtout la Commission décide de procéder à l’élection d’une Commune et d’un maire qui aurait en même temps les fonctions de préfet. Le Club républicain de la Garde nationale soutient cette décision. Les otages seraient alors remis aux mains de cette Commune. Ces élections sont annoncées par voie d’affiches et fixées pour le 5 avril 1871
Charles Amouroux (source :www2.assemblee-nationale.fr)
(source : Archives Départementales des BDR13)
Inégalité des forces en présence
Le général Espivent de la Villeboisnet, reste, lui, fidèle au gouvernement versaillais. Il est déterminé à intervenir par la force contre les insurgés et à faire un exemple propre à décourager toute rébellion future. Replié à Aubagne, rejoint par de nombreux fonctionnaires, renseigné par des hommes à lui dont des membres du conseil municipal et des républicains modérés effrayés par la tournure des évènements, il rassemble des troupes depuis plusieurs jours et prépare son attaque. Ses hommes disposent de Chassepots de bonne qualité et de canons. Dans Marseille même, il peut aussi compter sur les garnisons des deux forts de la ville, qui n’ont pas rallié la Commune, ainsi que sur les marins de deux corvettes Le Magnanime et l’Aviso. Habilement, dès le 26 mars il fait déclarer l’état de siège, justifié selon lui par la présence d’étrangers armés (en réalité des garibaldiens démobilisés) ce qui lui donne légalement les pleins pouvoirs. La perspective de voir le suffrage universel légitimer la Commune le décide à intervenir avant le 5 avril.
En face, les Communards sont pratiquement sans défense durable. La résistance armée n’avait jamais été vraiment envisagée par la Commission départementale et encore moins organisée. Souvent équipés d’armes disparates, mal formés, manquant de munitions, les Communards marseillais n’ont aucune chance devant un armée régulière de 6000 hommes entrainés et disciplinés. Les canons inutilisables trônant dans la cour de la préfecture font figure de décoration ; ils ne sont d’aucun secours pour les quelques centaines d’hommes qui défendent le bâtiment. Ils ne disposent que de leurs fusils et d’une seule mitrailleuse pour repousser des assaillants éventuels. Et ils ne peuvent compter sur le soutien actif que d’une partie de la population.
Les heures terribles d’un « jour plein de sang ! » (2)
A l’aube, de vaines tentatives de dialogues
Averti dès la veille de l’imminence de l’attaque, Crémieux est inquiet mais reste convaincu jusqu’au bout que les choses peuvent s’arranger sans combat. Pourtant pendant la nuit du 3 au 4 avril les troupes du général Espivent investissent Marseille et occupent les carrefours stratégiques de la ville.
A 6 h, accompagné d’Adolphe Pélissier, chef de la Garde nationale marseillaise et suivi d’une foule nombreuse, il va parlementer avec l’état-major du général, installé sur la place Castellane et protégé par l’artillerie. Il demande le maintien des élections. Mais le commandant de Villeneuve qui le reçoit ne fait que lui répéter l’ordre d’évacuer la préfecture sans délai ni condition, de libérer les otages et de se soumettre.
Ils sont bientôt rejoints par une autre manifestation, celle de l’Association Internationale des Travailleurs brandissant leur drapeau noir. Menés par Auguste Sorbier ils demandent aux soldats de lever la crosse, de ne pas tirer sur le peuple. Mais malgré quelques ralliements individuels cette tentative échoue elle aussi : la fraternisation tant espérée avec la troupe ne se fera pas. L’affrontement devient inéluctable.
Déjà les soldats se déploient, s’emparent du palais de la Bourse. La gare est prise d’assaut et la préfecture est cernée. Vers dix heure la fusillade éclate, nourrie et meurtrière, faisant aussi des victimes dans la foule qui s’était accumulée et qui fuit comme elle peut. Elle durera plusieurs heures. Des barricadent s’improvisent.
De nouveau, Gaston Crémieux, accompagné cette fois par Bernard Landeck, tente de négocier un cessez-le-feu mais se heurte au même refus que plus tôt. Les combats et les fusillades continuent toute la journée dans les rues de la ville. Les Communards de la gare et de la Plaine tiennent toute la matinée avant de devoir céder et pour certains, de rejoindre la Préfecture.
A 13 h, le bombardement de la préfecture commence
Les premiers boulets sont tirés de l’esplanade de la basilique de Notre-Dame-de-la- Garde, jusqu’alors la « Bonne Mère » de bien des Marseillais, bientôt rejoints par ceux envoyés depuis le fort Saint-Nicolas. Les obus pleuvent dans tout le périmètre, touchant de nombreux immeubles voisins. Les combats deviennent acharnés. Le bombardement dure sept longues heures avant que les Communards qui défendent la préfecture se résignent à se rendre ou à fuir. A 23 heures les marins prennent d’assaut le bâtiment déserté et délivrent les otages à l’abri dans les caves. Pas un d’entre eux n’est mort ou blessé.
Un peu partout dans les rues de la ville et autour de la préfecture, des cadavres, des débris, des traces sanglantes des combats.
La Commune de Marseillaise a vécu.
Une répression impitoyable et de longue durée
Toute la journée du 4 avril et le lendemain, de nombreuses exécutions sommaires ont lieu dans divers lieux de la ville. On traque les Communards jusque dans les hôpitaux. Nombre d’entre eux sont cachés par leur famille ou des amis qui les protègent malgré les perquisitions qui se multiplient. Beaucoup réussissent à s’enfuir vers l’Italie, l’Espagne ou la Suisse…
Le nombre des victimes est difficile à évaluer, les bombardements et les fusillades, ayant fait de nombreuses victimes civiles en dehors des combattants. Et comment chiffrer le nombre de ceux qui sont morts discrètement les jours suivants des suites de leurs blessures chez les particuliers ? On avance le chiffre de 200 morts auquel il faut ajouter un nombre supérieur de blessés.
Des centaines de personnes furent arrêtées ce jour-là mais la répression judiciaire se poursuivra pendant des années. En 4 ans, plus de 600 personnes furent arrêtées. La moitié passèrent devant un conseil de guerre et 198 furent condamnés : 14 à la peine de mort (3 furent mises à exécution), 42 à la déportation, 25 aux travaux forcés, 9 à une amende simple et le reste à des périodes de détention allant d ‘un mois à 20 ans de prison. Gaston Crémieux fut le seul civil des trois condamnés à mort exécutés. Il fut fusillé le 30 novembre 1871.
L’image ci-dessous est une estampe pro-versaillaise présentant défavorablement la condamnation de Gaston Crémieux et seize de ses compagnons par le 1er Conseil de guerre de la 9ème division le 28 juin 1871 à Marseille.
L’image : elle ne correspond pas à la réalité marseillaise mais à celle de Versailles comme l’indique son commentaire (le lieu où se déroula le procès n’est pas une sombre pièce voutée mais une salle de tribunal du tout nouveau palais de justice de Marseille prêtée aux militaires pour l’occasion ; les personnages, les juges ne furent pas positionnés ainsi et on ne comptait aucune femme parmi les accusés).
Le texte : G. Crémieux est bien accusé d’avoir établi une Commune comme à Paris, les commentaires sont nettement anti-communards comme le montrent le paragraphe sur l’intervention du général Espivent, ainsi que la dernière phrase de la page : « le sauveur de la France, c’est-à-dire M. Thiers ».
Estampe du graveur Edouard Marchandeau ( vers1871 ) – Musée du Carnavalet, Histoire de Paris
Le souvenir du 4 avril
Le 4 avril 1871 et ses suites restèrent longtemps un traumatisme dans la mémoire collective marseillaise, perceptible dans des chansons populaires, comme celles du marseillais Michel Capoduro, contemporain de la Commune. Dans l’une d’entre elle, « Vous êtes désarmés », il exprime son indignation envers la défection de la Garde nationale et ceux qui se disaient républicains mais n’avaient pas pris les armes ce jour-là pour défendre la vraie république :
« Aurai totjorn la colèra, /D’aguer vist quatre artilleurs, /Lo jorn de tant de malurs, /Tirar de la Bòna Méra… » [ J’aurai toujours la colère /D’avoir vu quatre artilleurs /Le jour de tant de malheurs, Tirer de la Bonne Mère…]
Chantal Champet
(1) voir notre précédent article : https://www.lp-13.org/2021/03/18/il-a-150-ans-la-commune-de-paris-debutait/
(2) expression tirée de la chanson « Vous êtes désarmés » reproduite plus bas.
Sources et bibliographie :
AUBRAY Maxime, Histoire des évènements de Marseille du 4 septembre 1870 au 4 avril 1871, Marseille, 1872.
RABATEAU A. et LEGRE Ludovic, La ville de Marseille, l’insurrection du 23 mars 1871 et la loi du 10 vendémiaire an IV, Paris, 1874.
VIGNAUD RogerGaston Crémieux, La Commune de Marseille, un rêve inachevé », Edisud, Aix-en-Provence, 2003.
BARSOTTI Glaudi, textes occitans de la Communa de Marseille, L’atinoir, Marseille, 2017.
Une grande partie de ce texte paraît aussi, avec bien d’autres sur les Communes révolutionnaires de province, dans l’éphéméride du site des Amies et Amis de la Commune de Paris (1871) : (https://www.commune1871.org ).
« VOUS ETES DESARMES » (chanson en souvenir du 4 avril 1871 à Marseille)
Paroles en provençal marseillais de Michel Capoduro (1832-1892), chantée par Jean de Nice en 1879
Républiquens de tavernas, Orators dei cabarets, Que cridatz quand siatz solets, Venètz rendre la gibèrna, Rendètz : fusius, centurons, Siatz guerriers qu’au cabanon ; Aqui l’i menatz de filhas, L’esclatz fòça botelhas, Cridatz que quand siatz ébriatz Taisatz-vos !… Siatz desarmats Avètz que blagasz e menaças E per provar ce que dieu Regardatz lo quatre abrieu S’en armas eriatz sus lei plaças ?… Quand la clòcha e lo tambor S’entendian avans lo jorn. Dormiatz ben, e tot v’explica, Enfants de la republica, Vos cresiau pas tant bornats ; Taisatz-vos !… Siatz desarmats. Aurai totjorn la colèra, D’aguer vist quatre artilleurs, Lo jorn de tant de malurs, Tirar de la Bòna Méra. Et din fòrça batalhons, Si fichavan dei canons, Quand falia quauquas ajudas, Jugaviatz ais escondidas, Tanben vos mainatjan pas… Taisatz-vos !… Siatz desarmats. Autorn de la prefectura Un tas de grands manequens Que si dien repibliquens Mostrèron pas la figura Éra ben questien portant Qu’aqueu jorn (jorn plen de sang !) Anonçava l’ora unica Per sauvar la Republica Mai fòrça l’anéron pas !… Taisatz-vos !… Siatz desarmats. Béla Garda Nacionala, Aqueu jorn a Montion As fornit qu’un batalhon Qu’avia la figura palla. Dire que sus dètz-e uech N’avian ren que quatre au fuec ! Quand devian totei si rendre Per pasiblament s’entendre, Lei bramurs l’aneron pas. Taisatz-vos !… Siatz desarmats. Auriatz evitat de larmas, Si seria pas vist un mòrt, S’aviatz ben agut lo còr De totei prendre leis armas. Mai retenètz ce que dieu : « S‘aviatz mai sabres, fusius, « Au dangier faut pas s’escondre, « E se quauqu ‘un vòu vos tondre, « Aguetz un còr, un estomac, « Vendran pas vos desarmar » Miquèu CAPODURO (parolas e musica) | « Républicains de taverne, Orateurs de cabarets, Qui criez quand vous êtes seuls, Venez rendre la giberne, Rendez : fusils, ceinturons, Vous n’êtes guerriers qu’au cabanon ; Là vous y menez des filles, Vous écoulez beaucoup de bouteilles, Vous ne criez que quand vous êtes souls, Taisez-vous !… Vous êtes désarmés. Vous n’avez que blagues et menaces Et pour prouver ce que je dis Regardez le quatre avril Si en armes vous étiez sur les places ?… Lorsque la cloche et le tambour S’entendaient avant le jour. Vous dormiez bien, et tout s’explique. Enfants de la république Je ne vous croyais pas tant bornés ; Taisez-vous !… Vous êtes désarmés. J’aurai toujours la colère D’avoir vu quatre artilleurs Le jour de tant de malheurs, Tirer de la Bonne Mère. Et dans beaucoup de bataillons ils se foutaient des canons. Lorsqu’il fallait des quelques renforts, Vous jouiez à vous cacher Aussi ils ne vous ménagent pas… Taisez-vous !… Vous êtes désarmés. Autour de la préfecture Un tas de grands mannequins Qui se disent républicains Ne montrèrent pas la figure. Il était bien question pourtant Que ce jour (jour plein de sang !) Annonçait l’heure unique Pour sauver la République, Mais beaucoup n’y allèrent pas !… Taisez-vous !… Vous êtes désarmés. Belle Garde Nationale, Ce jour- là à Monthyon Tu n’as fourni qu’un bataillon Qui avait pâle figure. Dire que sur dix-huit Il n’y en avait que quatre au feu ! Lorsqu’ils devaient tous aller Pour paisiblement s’entendre, Les brameurs n’y allèrent pas. Taisez-vous !… Vous êtes désarmés. Vous auriez évité des larmes, On n’aurait pas vu un mort, Si vous aviez tous eu le cœur De tous prendre les armes. Mais retenez ce que je vous dis : « Si vous aviez de nouveau sabres, fusils, Au danger il ne faut pas se cacher, Et si quelqu’un veut vous tondre, Ayez un cœur, un estomac, On ne viendra pas vous désarmer ! » Michel CAPODURO (paroles et musique) |