Fonds publics à l’École publique Fonds privés à l’école privée : enfin sortir de la loi Debré !

Résolution « loi Debré » Fonds publics à l’École publique Fonds privés à l’école privée : enfin sortir de la loi Debré ! adopté par le Congrès National de la Libre Pensée le 21 août 2025

Fonds publics à l’École publique
 Fonds privés à l’école privée : enfin sortir de la loi Debré !

L’instruction publique est un devoir de la société à l’égard des citoyens.
 L’inégalité d’instruction est une des principales sources de la tyrannie.
Condorcet, Mémoire sur l’instruction publique

Considérant ce qui suit :

En France comme dans bien d’autres pays, les régimes autoritaires favorisent l’école catholique. Née du coup d’État du 13 mai 1958 à Alger, la Cinquième République instaure un système politique de type monarchique et plébiscitaire. Celui-ci repose sur la reconnaissance de très larges pouvoirs, y compris de nature dictatoriale en cas de crise, au président de la République, élu au suffrage universel direct depuis la réforme de 1962. Il abaisse le Parlement, dont l’activité législative et de contrôle de l’exécutif est gravement entravée par les puissants instruments juridiques protégeant le Gouvernement. Enfin, la justice n’est pas un pouvoir mais une simple autorité. De même que la loi Falloux du 15 mars 1850 annonce le Second Empire issu du coup d’État du 2 décembre 1851, la loi Debré du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privés entre en vigueur un an après la Constitution bonapartiste du 4 octobre 1958. Étroitement imbriquées, l’une et l’autre sont l’œuvre du même homme, Michel Debré, avec l’appui de la SFIO et notamment, pour la première, du socialiste André Boulloche, ministre de l’Éducation nationale du 8 janvier au 23 décembre 1959.

La loi du 31 décembre 1959 permet à l’Église romaine de sauver ses établissements scolaires, en perdition à la fin des années 1950. L’enseignement catholique en compte actuellement 7 500 qui, liés par un contrat avec l’État, accueillent deux millions d’élèves. Il perçoit chaque année des collectivités publiques une somme considérable, estimée aujourd’hui à treize milliards d’euros. En 2024, la part de la contribution prélevée en sa faveur sur le budget de l’État représentait 10,2% du montant des crédits de paiement réservés à l’enseignement scolaire (9 Mds€ sur 86,8 Mds€). La même année, celle imposée aux collectivités territoriales atteignait 4,7% de leurs dépenses consolidées (4 Mds€ sur 85,2 Mds€). Il conserve pourtant son « caractère propre » et échappe à certaines obligations majeures de l’École publique, notamment en matière d’accueil des élèves, de sorte que les inégalités scolaires et sociales s’aggravent au lieu de s’atténuer. Les paroles de Victor Hugo prononcées le 15 janvier 1850 contre les partisans du projet de loi Falloux s’adressent, par-dessus les décennies, à ceux de la loi Debré : « Je m’adresse donc au parti clérical, et je lui dis : Cette loi est votre loi. Tenez, franchement, je me défie de vous. Instruire, c’est construire. Je me défie de ce que vous construisez. »

La crise des institutions de la Cinquième République, qui connaît un sérieux approfondissement depuis 2022, entraîne une mise en cause sans précédent du financement public de l’enseignement privé. Dans ces conditions, à l’ordre du jour depuis 1960, la question de l’abrogation des dispositions issues de la loi du 31 décembre 1959 se pose en des termes nouveaux. Il appartient à la Libre Pensée d’y répondre au regard du principe de liberté de conscience duquel découle celui de liberté de l’enseignement.

Libertés de conscience et de l’enseignement

L’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 érige la liberté de conscience en principe fondamental : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » Sous sa forme organisée, la Libre Pensée a contribué de façon éminente à la faire reconnaître dans le droit positif. L’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État affirme que « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » À cette fin, elle « […] ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » 

La liberté de conscience a pour corollaire celle de l’enseignement. Celle-ci n’a de réel contenu que s’il existe un puissant système d’instruction publique, obligatoire, gratuit et laïque qui, selon la belle formule du libre penseur Jean Zay, doit « […] rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas. » Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris en 1958, impose à l’État une obligation majeure de résultat en la matière. Il prévoit que « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. » Sauf à porter atteinte à la liberté de conscience, la puissance publique ne saurait donc distraire au profit de l’enseignement privé, qui obéit à des impératifs étrangers à l’intérêt général, une partie des ressources nécessaires à l’accomplissement de sa mission scolaire, qui requiert de puissants moyens issus de l’impôt consenti par les citoyens.

Contrairement à ce que d’aucuns affirment, le système d’instruction publique gratuite, obligatoire et laïque n’est pas par nature un frein bureaucratique aux innovations pédagogiques que peuvent expérimenter ses établissements, dès lors que sont respectés les programmes et diplômes nationaux ainsi que les règles de gestion de leurs personnels. Ainsi, de 1880 à 1894, alors que la République adoptait les grandes lois scolaires, le libre penseur Paul Robin, inspecteur de l’enseignement primaire, mit en œuvre à l’orphelinat départemental de Cempuis (Oise) les principes de l’éducation intégrale, appliquée plus tard par Sébastien Faure et Francisco Ferrer. De même, le Mouvement de l’École moderne de Célestin et Élise Freinet s’est déployé au sein de l’École publique où il existe encore.

Au regard de la liberté de l’enseignement, seule l’existence d’établissements privés d’instruction financés sur fonds uniquement privés paraît donc légitime dans une République laïque. Les cultes peuvent entretenir, à leurs frais et/ou à ceux des parents qui choisissent d’y inscrire leurs enfants, des écoles à orientation confessionnelle des premier et second degrés. D’autres initiatives privées peuvent, dans les mêmes conditions, poursuivre des expériences pédagogiques singulières. Dans tous les cas, parce que la nation protège la jeunesse, l’État doit seulement vérifier que les élèves reçoivent dans ces établissements privés une instruction minimum et ne font l’objet d’aucun sévice.

Crise de la Cinquième République et contestation
 du financement public de l’enseignement privé sous contrat

Depuis 1959, soutenue par des forces politiques consubstantielles ou ralliées au bonapartisme, la Cinquième République a traversé et surmonté de nombreuses crises politiques et sociales : journée des barricades à Alger en 1960 ; putsch des généraux de 1961 suivi d’une mise en œuvre de l’article 16 du 23 avril au 29 septembre ; grève des mineurs de 1963 ; grève générale de mai et juin 1968 ; départ du général de Gaulle à la suite du rejet des réformes de la régionalisation et du Sénat le 27 avril 1969 ; alternance de 1981 ; cohabitations de 1986 à 1988, de 1993 à 1995 et de 1997 à 2002 ; crise sociale de novembre et décembre 1995. Afin de s’adapter, les deux principaux soutiens de la Cinquième République ont opéré une mue importante, de manière à protéger les institutions. En 1974, après avoir liquidé la SFIO trois ans plus tôt, le Parti socialiste a ouvert grandes ses portes aux chrétiens. En 2002, est intervenue l’unification dans une seule formation des décombres du gaullisme et des chapelles démocrates chrétiennes.

Cette capacité de résilience, puisée dans des institutions à la fois souples et fondamentalement autoritaires mais affaiblies en réalité par l’introduction du quinquennat, a disparu et ouvert une période de grande instabilité. En 2017, dans un contexte de montée de l’extrême droite, les piliers du régime, fragilisés par une défiance croissante des citoyens, se sont affaissés, ouvrant une large brèche dans laquelle s’est engouffré l’actuel président de la République, élu sans véritable assise : le président socialiste sortant n’a pu se représenter à l’élection présidentielle ; le candidat de la droite, embourbé dans une affaire d’emploi fictif, n’a pu accéder au second tour du scrutin. En 2022, à la suite notamment du puissant mouvement des Gilets jaunes, la crise politique est devenue institutionnelle. Si le locataire du Palais de l’Élysée a été reconduit dans ses fonctions face à la candidate d’extrême droite, aucune majorité décisive ne s’est dégagée à l’Assemblée nationale. La réforme des régimes de retraite, qui a soulevé de puissantes manifestations d’hostilité dans tout le pays, a été adoptée à la suite d’une motion de censure repoussée de neuf voix seulement. À la suite de l’échec cuisant des partisans du président de la République au scrutin européen de 2024, les élections législatives anticipées, convoquées à la suite d’une dissolution de l’Assemblée nationale, ont confirmé la tripartition des forces politiques. Le président de la République a aggravé la situation en refusant de nommer un Premier ministre issu de la coalition ayant obtenu la majorité relative, le Nouveau Front populaire.

Dans ces conditions, la contestation récente et officielle de l’application des dispositions du Code de l’éducation issues de la loi du 31 décembre 1959 s’inscrit, implicitement mais nécessairement, dans le processus de crise aggravée des institutions de la Cinquième République. En 2023, la Cour des comptes a rendu public un rapport mettant en évidence les conséquences gravement inéquitables du financement public de l’enseignement privé sous contrat et les défaillances du contrôle de l’utilisation des fonds alloués par l’État et les collectivités territoriales aux établissements catholiques. En 2024, la mission parlementaire d’information a dégagé des conclusions analogues. Outre l’absence de surveillance de son application, ce dispositif nourrit les inégalités sociales et scolaires mesurées par l’indice de position sociale (IPS) : en 2021, 55,4% (41,5% en 2000) des élèves des établissements catholiques étaient issus de familles favorisées ou très favorisées contre 32,3% (32,2% en 2000) seulement dans l’enseignement public. Au surplus, dans les faits, il repose non pas sur l’exécution des contrats eux-mêmes mais sur une procédure dépourvue de base légale impliquant les collectivités publiques et le secrétariat général et les directions diocésaines de l’enseignement catholique.

De surcroît, des évènements conjoncturels ont jeté une lumière crue sur les critiques venues de ces institutions. D’une part, en janvier 2024, à peine nommée et visiblement animée d’un sentiment d’hostilité envers l’École de la République, l’éphémère ministre de l’Éducation nationale, Mme Amélie Oudéa-Castéra, a publiquement fait l’éloge de l’enseignement privé en vantant les mérites de l’établissement catholique de prestige du VI° arrondissement de Paris où elle a inscrit ses enfants, le collège-lycée Stanislas. D’autre part, à partir de février 2024, deux cents anciens élèves de l’établissement scolaire du sanctuaire de Notre-Dame de Bétharram (Pyrénées-Atlantiques), dans lequel ont étudié les enfants du Premier ministre et Maire de Pau François Bayrou, ancien ministre de l’Éducation nationale et ex-président du département, ont déposé plainte aux fins de poursuite des auteurs des violences physiques et sexuelles qu’ils y ont subies dans leur jeunesse. À la faveur de ce scandale, d’autres affaires du même type ont mis en évidence le caractère systémique des dérives de l’enseignement catholique.

Bref, dans le contexte de crise institutionnelle que traverse la Cinquième République, la conjonction de la mise en évidence des mécanismes profondément inégalitaires du financement public de l’enseignement privé et le dévoilement des pratiques pénalement répréhensibles ayant cours dans certains établissements catholiques modifie profondément les conditions de l’action conduite par la Libre Pensée en vue de l’abrogation des dispositions du Code de l’éducation issues de la loi Debré

Les nouvelles modalités d’action de la Libre Pensée
 en vue de l’abrogation de la loi Debré

En premier lieu, compte tenu des changements intervenus depuis 2022, un collectif pour l’École publique, auquel la Fédération nationale de la Libre Pensée (FNLP) participe activement, a vu le jour. Ses forces, qui composent un large éventail, affirment leur volonté d’abroger la loi Debré, selon des rythmes et des modalités variées. Toutes ont rappelé leur attachement au serment de Vincennes du 19 juin 1960 « de manifester en toutes circonstances et en tous lieux notre irréductible opposition à cette loi contraire à l’évolution historique de la Nation ; de lutter sans trêve et sans défaillance jusqu’à son abrogation ; d’obtenir que l’effort scolaire de la République soit uniquement réservé à l’École de la Nation, espoir de notre jeunesse ». Beaucoup d’entre elles l’avaient néanmoins oublié. Elles s’en prévalent désormais, au moins formellement, en raison du nouveau contexte politique. Ce « cadre unitaire inédit depuis 30 ans », selon les termes du communiqué du collectif du 9 octobre 2024, constitue en lui-même une avancée que la Libre Pensée ne saurait ignorer.

En deuxième lieu, compte tenu de l’état de crise institutionnelle dans lequel se trouve la Cinquième République et de ce mouvement de regroupement de forces en défense de l’École publique qui en procède indirectement, la FNLP ne peut se borner à exiger sans autres précisions l’abrogation de la loi Debré et des lois antilaïques, sauf à nourrir, implicitement mais nécessairement, le point de vue de ceux qui y voient un appel inaudible et préconisent seulement d’améliorer le financement public de l’enseignement catholique, tel Pierre Ouzoulias, vice-président du Sénat. Par conséquent, la FNLP a fait le choix d’élaborer un plan de sortie pour mener une campagne de fond dans le cadre du collectif comme en dehors de celui-ci, sur la base de l’accord qui unit les forces qui le composent. C’est le meilleur moyen de combattre celles qui, en son sein, agissent dans les faits en faveur d’une application stricte des dispositions du Code de l’éducation issues de la loi Debré.

En troisième lieu, le plan de sortie du financement public de l’enseignement privé sous contrat conçu par la FNLP a pour point de départ l’abrogation des textes actuellement en vigueur légués par les lois modifiées Falloux (second degré), Astier (enseignement technique), Debré et Rocard (enseignement agricole).

Dans la mesure où l’insertion de deux millions d’élèves et de 140 000 professeurs dans l’enseignement public ne s’improvise pas, de même que ne pouvait être immédiatement réalisée la laïcisation totale de l’instruction primaire dans les années 1880,

ce plan consiste : à résilier tous les contrats en cours liant l’État aux établissements privés à la date de l’abrogation et de leur permettre de choisir, durant la première année suivant celle-ci, d’accepter une convention-type transitoire de six ans organisant la réduction progressive des financements publics de la deuxième à la sixième année.

Il offre aussi la possibilité aux enseignants du privé de demeurer agents publics et de bénéficier d’une titularisation.

Il prévoit des mesures d’accompagnement pour les autres personnels de droit privé.

Il comporte un plan exceptionnel de financement de la construction de nouveaux bâtiments scolaires. En effet, il n’est pas question de nationaliser l’enseignement privé et ses locaux, mesure qui serait contraire au principe de liberté de l’enseignement et donnerait des arguments à ceux qui évoquent le spectre de l’indemnisation pour faire obstacle à la perspective de l’abrogation.

Dans ces conditions, le congrès de la FNLP décide :

1°- de poursuivre sa participation dans le collectif pour l’École publique ;

2°- d’amplifier la campagne de présentation du plan de sortie du financement public de l’enseignement privé en multipliant les conférences ayant cet objet ;

3°- de faire systématiquement le lien dans ces réunions publiques entre la crise institutionnelle de la Cinquième République justifiant l’appel à l’élection d’une Assemblée constituante et la nécessité d’abroger la loi Debré qui nourrit les inégalités scolaires et sociales ainsi que le caractère systémique des violences et abus sexuels sur mineurs dans certains établissements catholiques ;

4°- de procéder à toute enquête locale utile concernant les établissements catholiques ;

5°- de présenter le plan de sortie aux élus nationaux comme locaux, dans la perspective des prochaines élections municipales, législatives et présidentielle, ainsi qu’aux candidats à ces différents scrutins.

adopté par le Congrès National de la Libre Pensée
le 21 août 2025 à l’unanimité.