Statut clérical d’Alsace-Moselle :

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Il est question en ce moment, dans la campagne électorale, du concordat d’Alsace-Moselle. Pour la Fédération nationale de la Libre Pensée, c’est depuis toujours une violation de la laïcité de l’État et de l’École publique. Depuis 1919, la Libre Pensée dénonce cette situation et demande l’application pleine et entière de la loi de Séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 sur l’ensemble du territoire, donc dans les trois départements d’Alsace-Moselle. Le présent document a été rédigé dans le but de donner tous les éléments d’informations aux citoyens sur les enjeux en cours.

concordat.jpgD’abord un peu d’histoire … La Moselle, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin ont été rattachés à la Prusse, après la guerre franco-prussienne de 1870. De ce fait, l’Alsace Moselle bénéficie toujours de lois sociales considérées plus favorables qui ont été arrachées grâce à la lutte de la social-démocratie naissante en Prusse. Le 19 octobre 1878, Bismarck fait adopter la loi « contre les socialistes », loi de répression, dans le but de bloquer leur influence dans la masse des ouvriers misérables et aussi par des mesures sociales d’envergure, il voudra attacher « les masses » à l’ordre existant pour les intégrer dans le nouvel Empire allemand. Bismarck instaure en 1883, 1884 et 1889 des lois sociales qui vont marquer l’histoire de la « Vieille Europe ». Le 31 mai 1883, par 216 voix contre 99 (dont celles des socialistes), le Reichstag adopte la loi sur l’assurance-maladie, instaurant des prestations couvrant la maladie, la maternité, des indemnités funéraires, le 6 juillet 1884 est adoptée une loi en matière d’accident du travail : la victime n’a plus à apporter la preuve d’une faute de son employeur, ce dernier est assuré en versant une cotisation qui est reversée au salarié pour couvrir ses pertes de gains. Ce principe ne sera appliqué que quatorze ans plus tard en France avec la loi du 9 avril 1898. Le droit social allemand sur lequel s’appuie le droit local alsacien-mosellan a ainsi inspiré les législations sociales en France et bien au-delà. Le 22 juin 1889 est instauré un système d’assurance vieillesse-invalidité. Bismarck a l’intention de détourner le peuple des idées socialistes : « Messieurs les démocrates joueront vainement de la flûte lorsque le peuple s’apercevra que les princes se préoccupent de son bien-être. », écrit-il dans ses mémoires. Mais la construction bismarckienne va alimenter l’extension rapide des sociaux démocrates qui commence vraiment : 1884 : 550 000, 1887 : 763 000, 1890 : 1 427 000 voix…. Le droit local alsacien mosellan est composé de droit français maintenu en vigueur par les autorités allemandes en 1871, des lois allemandes applicables dans l’ensemble du « Reich » pendant l’annexion, du droit propre au Reichsland d’Alsace-Lorraine, et des dispositions françaises intervenues après 1918, mais applicables aux seuls départements d’Alsace et de la Moselle. Avec le droit local du travail, les salariés du secteur privé obtiennent pendant six semaines le maintien intégral de leur salaire sans délai de carence et sans condition d’ancienneté, lorsque la cause de l’absence n’est pas de leur responsabilité et qu’elle empêche réellement l’exécution du contrat de travail. Dans l’industrie, il est interdit d’employer des salariés le dimanche, sauf dérogations. Dans le commerce, par contre, la loi autorise en principe une ouverture dominicale pour une durée maximale de 5 heures, mais l’existence de statuts locaux aboutit à une interdiction quasi-générale d’ouverture. Des dérogations sont également possibles. Deux jours fériés légaux supplémentaires : le Vendredi saint et la Saint-Étienne (le 26 décembre). Le régime local de sécurité sociale : Les assurés bénéficient de prestations spécifiques financées par des cotisations plus élevées à leur charge exclusive. L’hospitalisation est prise en charge à 100% et la plupart des soins à 90%. Il existe également des règles particulières en matière d’assurance accidents agricole. Le droit local d’Alsace-Moselle contient aussi des clauses en matière d’aide sociale, de chasse, du droit des associations, le droit communal, la faillite civile… et aussi en matière de cultes

Le droit local des cultes d’Alsace-Moselle

D’emblée, il convient de répondre à cette première question : avec les projets de modification de l’article 1er de la Constitution, il ne s’agit pas de faire entrer dans la Constitution la pérennité du droit social d’Alsace-Moselle hérité du combat de la social-démocratie allemande naissante et qui est effectivement plus favorable que le droit national voire la généralisation de ces dispositions. Le débat se situe sur le respect du principe de séparation des Églises et de l’État et la mise en conformité du concordat bonapartiste de 1801 avec la constitution de 1958. En effet, le titre premier de la loi de 1905 cité dans la proposition comprend les articles 1 et 2 qui précisent notamment que : Article premier La République assure la liberté de conscience. (…) Article 2 La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1 er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes (…) Or, le concordat bonapartiste n’a rien à voir avec le droit local alsacien-mosellan, a fortiori avec son droit social. Il instaure par un traité (contrat) avec le Saint-Siège, une religion d’État : le catholicisme, qui devient « la religion de la majorité des citoyens français », avec primauté hiérarchique sur les autres cultes reconnus : protestants et israélite. L’État reconnaît et finance les ministres du culte pour mieux « gendarmer le peuple ». Aujourd’hui, en Alsace-Moselle, le régime concordataire est toujours en vigueur : cela est confirmé par un avis du Conseil d’État du 24 janvier 1925. Concrètement, la loi de Séparation de 1905 n’y est pas appliquée et les quatre cultes catholique, luthérien, réformé et juif y bénéficient d’un statut officiel. 1 460 prêtres et laïcs en mission, pasteurs et rabbins y sont rémunérés par l’État. Il existe toujours « le délit de blasphème » puni de 3 ans d’emprisonnement maximum. Les « règles particulières applicables en Alsace-Moselle » de la proposition en débat actuellement contiennent un dispositif dénommé communément droit local des cultes d’Alsace-Moselle dont le cœur est le traitement du clergé concordataire d’Alsace-Moselle (montants établis ci-dessous au 1er janvier 2012) La loi du 22 juillet 1923 constitue le texte de base concernant la rémunération des personnels des cultes et leur retraite ; leurs traitements sont quasiment des traitements nets, car ils sont exempts du prélèvement de cotisation pour pension civile (c’est l’État qui paye les pensions, soit 20 millions d’euros par an, via le budget des cultes qui s’élève actuellement à 55,9 millions d’euros annuels). Ce sont donc les contribuables de tous les départements de France et d’outre-mer qui payent les salaires, les pensions et l’essentiel de la protection sociale des ministres des cultes concordataires. Le décret du 10 juillet 1948 a établi la grille indiciaire des traitements des ministres des cultes reconnus – qui n’ont pas la qualité officielle de fonctionnaires – décret confirmé par celui du 29 décembre 1973 et l’arrêté interministériel du 25 avril 1974. Leur grille indiciaire a été revalorisée par le décret du 16 mai 1997 et le décret du 8 octobre 2007 fait passer la plupart d’entre eux dans la catégorie A de la Fonction publique. CULTE RECONNU CATHOLIQUE
Culte catholique indice brut indice maj traitement br
évêque hors échelle A Chevron III 4423,51
évêque coadjuteur 804 660 3055,80
évêque auxiliaire 714 592 2740,96
vicaire général 699 580 2685,40
chanoine 699 580 2685,40
secrétaire général 699 580 2685,40
curé 672 560 2592,80
desservant 659 550 2546,50
vicaire 495 427 1977,01
aumônier 672 560 2592,80
CULTE RECONNU PROTESTANT
Culte protestant indice brut indice maj traitement br
prés. du Directoire* 755 623 2884,49
prés. Cons synodal** 755 623 2884,49
pasteur 672 560 2592,80
pasteur auxiliaire 495 427 1977,01
vicaire 364 338 1564,94
secr gén du direct* 699 580 2685,40
secréta gen de l’Eral** 699 580 2685,40
aumônier 672 560 2592,80
secr direct* 612 514 2379,82
secr cons synodal** 612 514 2379,82
(*) église luthérienne (**) église calviniste CULTE « RECONNU » ISRAÉLITE
culte israélite indice brut indice maj traitement br
grand rabbin 712 590 2731,70
rabbin 672 560 2592,80
secr. consistoire 612 514 2379,82
aumônier 672 560 2592 ,80
A TITRE DE COMPARAISON : enseignants fonction publique d’Etat
grade échelon traitement br indice maj traitement net
AGRÉGÉ 11e ÉCHELON 3801,23 821 3206,33
CERTIFIÉ 11e ÉCHELON 3046,73 658 2569,91
CERTIFIÉ 1er ÉCHELON 1615,87 349 1362,98
En outre, les ministres du culte bénéficient du logement gratuit ou d’une indemnité de logement payée par la commune et d’un régime de protection sociale spécifique (décret du 19 janvier 1951) très avantageux : ils ne payent que 3,715 % de cotisation d’assurance-maladie, celle-ci excluant bizarrement le risque d’accident du travail ! À cela s’ajoutent des avantages en nature : voiture avec chauffeur pour l’évêque, indemnités de desserte de plusieurs paroisses (binage), cours de religion payés par l’État (le curé peut être aumônier dans les établissements publics), etc. De ce fait, il arrive souvent que le traitement net soit supérieur au traitement brut. Il faut savoir, en outre, que les trois départements alsaciens-mosellan subissent un statut scolaire clérical d’exception mixant la loi Falloux, les lois impériales allemandes et un complément de lois françaises postérieures à 1918. Ce statut stipule que les écoles primaires sont confessionnelles ou interconfessionnelles, que l’enseignement religieux est obligatoire dans le primaire et le secondaire. Il en résulte un fichage religieux des élèves pour gérer les effectifs, fichage approuvé par la CNIL ! Il a fallu la circulaire de Guy La Chambre, sous-secrétaire d’Etat, du 17 juin 1933 pour que les laïques obtiennent la possibilité d’une dispense à renouveler avant chaque rentrée scolaire, sinon l’Inspection académique coupe les allocations familiales. Dans le primaire, les élèves dispensés sont souvent victimes de ségrégation et de vexations. De par la loi Falloux et les ordonnances de Bismarck, les établissements scolaires doivent « respecter la religion, la morale et le pouvoir établi ». Le statut confessionnel des Écoles normales d’instituteurs a été appliqué aux IUFM : les élèves-maîtres subissaient une formation religieuse obligatoire, remplacée après une lutte âpre des intéressés par des cours de morale. Et la théologie est enseignée officiellement dans les Universités de Metz et de Strasbourg. Concordat et statut scolaire clérical d’exception constituent un déni de démocratie et portent gravement atteinte à la liberté de conscience des jeunes citoyens pourtant exigée par l’article 1er de la loi de 1905. Encore un peu d’histoire Puisque l’on nous parle de tradition et d’histoire locale, il faut rappeler que la grande majorité des députés d’Alsace-Moselle n’a pas voté la loi Falloux de 1850. Visiblement, toutes les traditions ne sont pas bonnes à respecter ! Or, les institutions religieuses d’Alsace-Moselle depuis des décennies réclament à cor et à cri la reconnaissance explicite de ce système d’exception dans la Constitution de 1958. Elle pérenniserait un système religieux oppressif d’un autre âge, dotant de privilèges exorbitants des ministres des cultes officiels appointés par l’État, donc par les contribuables de métropole et d’outremer, de fait un impôt religieux pour tous les citoyens. Étant contraire aux principes de la loi de 1905, édictés dans les articles 1er et 2, la Fédération Nationale de la Libre Pensée demande l’abrogation du statut clérical d’exception d’Alsace Moselle, ce qui veut dire notamment : -* L’abrogation du concordat de 1801 et de toutes ses annexes ! -* L’abrogation de la loi Falloux et donc la fin de la religion à l’école ! -* La laïcisation des écoles publiques d’Alsace-Moselle et de ses personnels !

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