En direct avec Benoît Schneckenburger, Secrétaire national du Parti de Gauche, chargé de la laïcité

– COMMUNIQUÉ DE PRESSE 

En direct avec Benoît Schneckenburger,

Secrétaire national du Parti de Gauche, chargé de la laïcité

La Raison : Bonjour, pourriez-vous présenter ?

Benoît Schneckenburger : Professeur de philosophie à Bourg-en-Bresse, je suis également Secrétaire national du Parti de Gauche, délégué notamment à la laïcité.

LR : Vous avez publié ou allez publier des ouvrages. Quels sont-ils et sur quoi portent-ils ?

BS : J’ai écrit quelques ouvrages d’initiation à la philosophie, consacrés à des auteurs matérialistes (Hobbes, Épicure) et une introduction au matérialisme : Intelligence du matérialisme. Fidèle à la philosophie encyclopédiste, je me crois cependant un peu éclectique, j’ai ainsi publié des articles et essais divers, notamment sur Le populisme ou récemment sur l’intelligence artificielle. Mes prochains ouvrages seront consacrés à la laïcité – Insoumission émancipation laïcité aux éditions Bruno Le Prince (février 2019) – et à la manière dont la question animale réinterroge la philosophie : Apprendre à philosopher avec l’animal aux éditions Ellipses (avril 2019). Je tiens un blog philosophique et militant : philosophie-politique.fr .

LR : Si vous aviez à définir le principe de laïcité, quelle serait votre définition ?

BS : Il s’agit bien d’un principe – non de valeurs ou encore moins d’un dogme ! La laïcité est l’une des solutions historiques à la question des relations entre le politique et le religieux. Il s’agit pour moi d’une des conditions nécessaires à l’exercice de la souveraineté démocratique : seule une loi issue de la volonté populaire est légitime. Le politique doit donc être soustrait aux influences de dogmes, et par conséquent l’État doit-être séparé des Églises. Le deuxième point, c’est qu’elle conditionne la possibilité d’une vie commune, une res publica, pacifiée. N’oublions pas que la loi de 1905 est venue clore, après la Révolution de 1789, plusieurs siècles de guerres de religions, au moment même d’ailleurs où l’affaire Dreyfus semblait en déclencher une nouvelle. Et enfin, la laïcité relève de la liberté : elle assure le droit fondamental à la liberté de conscience, laquelle concerne tout autant et indifféremment non-croyants, agnostiques ou croyants.

LR : Pensez-vous que la laïcité, codifiée par la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat est menacée aujourd’hui ? Et si oui, par quoi ?

BS : Les signes sont hélas depuis longtemps clairs d’une telle remise en cause. Les gouvernements successifs ont eu la laïcité honteuse. Elle n’a pas bénéficié d’une commémoration institutionnelle d’ampleur lors de son centenaire. Le plus grave cependant tient à la manière dont elle est aujourd’hui doublement manipulée. Certains en font un instrument de propagande anti-Islam. D’autres prennent précisément argument de l’Islam pour vouloir en changer les fondements, alors qu’elle peut parfaitement continuer à s’appliquer, dans le respect de la liberté de conscience, de liberté des cultes et de neutralité de l’État. Ce serait d’ailleurs donner paradoxalement droit à ce courant minoritaire qu’est l’islamisme politique que de vouloir adapter la loi républicaine à l’Islam ou inversement l’Islam à la République. Je crois que sur ces points l’Appel des laïques répond parfaitement aux enjeux de la période.

LR : Quelle est votre analyse sur la proposition de révision de la loi de 1905 par Emmanuel Macron ?

BS : Ce dernier ne se cache pas de son appartenance à la tradition libérale – dans tous les sens du mot – et de ses références au modèle anglo-saxon. De ce fait, il s’inscrit dans l’optique de la tolérance, plus que dans celle de la laïcité, laquelle reconnaît des cultes, des communautés et de leurs représentants. D’où son dialogue répété avec des institutions cultuelles et son souhait de revenir sur la Séparation entre l’État et les Églises : je fais ici évidemment référence à son évocation de la « réparation » comme à la manière dont il a réintroduit la question de la laïcité dans le « grand débat national » pour laquelle il parle de « rapports » entre l’État et les religions. C’est une remise en cause majeure de l’essence de la laïcité. Dans le même cadre les premières annonces semblent ouvrir la possibilité de nouvelles subventions ou ressources financières pour les cultes, ce qui est très préoccupant. D’une part dans la mesure où ces dispositifs remettent en cause la neutralité de l’État dans le choix des associations cultuelles y ouvrant droit ; d’autre part en détournant des ressources publiques en ces temps de disette liée à l’austérité.

L’autre sujet d’inquiétude tient à l’utilisation du thème de la laïcité par le Président de la République. Il en a fait un axe de sa réponse au mouvement des Gilets Jaunes en la liant aux questions migratoires. Il s’agit d’une manipulation grossière aux effets délétères. Alors que le mouvement social de ces dernières semaines avait fait passer au second plan la question migratoire pour lui substituer des revendications de justice sociale et fiscale, il donne par-là droit à celles et ceux qui à l’extrême-droite, notamment, veulent utiliser la laïcité pour écouler leur venin xénophobe. On ne peut détacher cette approche de sa volonté d’aborder l’échéance européenne, et les suivantes, en se présentant comme le leader d’un axe progressiste contre la réaction. Et pour cela, il a besoin d’orchestrer que les thématiques de cette dernière ont un écho dans la société.

LR : Le gouvernement prépare une loi dite « de confiance » sur l’Ecole, mise en avant par Jean-Michel Blanquer. Avez-vous déjà une analyse, et plus généralement, que pensez-vous de l’action du ministre et de son « comité des sages » ?

BS : Contrairement à la loi de 1905, nous n’en sommes plus aux seules intentions au moment où je vous réponds : un projet de loi a été déposé par le ministre. Je n’évoquerai ici que deux points. Le premier concerne l’obligation scolaire dès 3 ans, dont on pourrait se féliciter si elle ne cachait pas essentiellement une mesure favorable à l’école privée. En effet aujourd’hui même si nombre d’enfants sont scolarisés dès trois ans, le caractère obligatoire de cette mesure ouvrira droit à demandes de nouvelles subventions des écoles privées accueillant ces élèves.

Le deuxième point relève de la liberté pédagogique des enseignants. Depuis quelques années plusieurs signes inquiétants attestent de la volonté accrue du ministère de renforcer le pouvoir hiérarchique sur les enseignants – comme a pu le montrer l’instauration des conseils pédagogiques sous l’autorité des chefs d’établissement. Évidemment, ici comme ailleurs, la novlangue a souvent fait passer ces mesures comme relevant de l’autonomie ou de la pédagogie. Les enseignants étaient essentiellement recrutés au titre de leur savoir universitaire, mais les concours de recrutement ont ajouté parfois des « items » comme « agir en fonctionnaire de l’État ».

Ce projet contient plusieurs dispositions alarmantes, relevées par les organisations syndicales et disciplinaires. Il renforce les possibilités de sanctions concernant la manière de servir des fonctionnaires qui peuvent tout-à-fait s’apparenter à un contrôle accru. Un collègue de philosophie, acteur reconnu de toutes les mobilisations syndicales depuis le mouvement Allègre et des mobilisations dans le champ de l’enseignement de la philosophie en a fait récemment les frais : il a fallu deux décisions du Tribunal administratif pour contraindre le ministère à revenir sur une sanction grave et le réintégrer. Ce projet préconise également de renforcer le poids du conseil scientifique, ce qui va là encore dans le sens d’un contrôle hiérarchique et non universitaire du savoir.

Quant au Comité des sages pour la laïcité, il constitue selon moi un recul pour la défense et la promotion de la laïcité dans l’institution scolaire. Il est conçu sur le modèle d’une cellule de crise appelée à intervenir en cas d’atteintes à la laïcité. Dès lors on a de nouveau tendance à ne parler de laïcité qu’en cas de problèmes, à n’y voir que l’occasion de déchirements, voire de sanctions. Le travail ouvert par la pédagogie de la Charte de la laïcité à l’école avait au moins pour intérêt de mettre l’accent sur ce que la laïcité rend possible : la liberté de conscience, la paix. Le droit de la laïcité a pour principe la liberté depuis son origine – du moins en esprit – dans l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : il pose par principe la liberté d’opinion (1789) ou de conscience (1905) et par exception, les sanctions qui le font respecter – tout droit reposant sur une obligation corrélative.

LR : Le pays est traversé par la mobilisation des Gilets jaunes et des organisations syndicales. Qu’en pensez-vous ?

BS : Ces mobilisations attestent d’un déchirement du lien social. Elles expriment la colère – mais il y a de saines colères ! – d’un peuple qui se sent de plus en plus méprisé et n’est pas dupe des opérations de propagandes : la hausse sur le prix des carburants présentée au peuple comme une mesure écologique, quand le même gouvernement avoue dans une lettre à la commission européenne qu’elle compensera le coût du CICE et des autres mesures allégeant la fiscalité patronale.

La répression politique est immense : des blessés par dizaines, des mises en garde à vue – sans suite, preuve qu’il s’agit de mesure politiques, des arrestations préventives. Le gouvernement en profite pour sortir une nouvelle « loi casseurs » qui en fait vise à réduire le droit de manifester. Je me demande si, considérant que la répression des mouvements sociaux est un fait mondial, une partie des élites économico-politiques, n’anticipent pas sur les graves crises climatiques à venir et mettent en place les instruments d’un régime autoritaire pour maintenir un système profondément injuste.

LR : Voulez-vous rajouter quelque chose ?

BS : Le principal enjeu pour le camp laïque, c’est l’unité. Nous avons bien sûr des débats sur la laïcité, mais l’essentiel doit nous rassembler : défense de la loi de 1905, dans son esprit et par conséquent dans sa lettre.

 (Propos recueillis par Christian Eyschen)